L’ouverture de la Suisse

Une dernière explication de la chute de la demande de transport en transit à travers la France est liée aux récentes modifications de la politique de transport en Suisse. Dans l’introduction du présent chapitre, les reports de trafics provoqués par la politique suisse de transport ont été mis en évidence. La politique de transport suisse a connu d’importantes évolutions depuis 2000. L’interdiction de circulation des poids lourds de plus de vingt-huit tonnes a été progressivement abandonnée. En contrepartie, les poids lourds suisses ou étrangers paient une redevance proportionnelle aux volumes et à la distance du transport (la redevance poids lourds liées aux prestations, RPLP) dont la recette est affectée au financement de nouvelles infrastructures de transport (Clément et Darmont, 2000 ; Giorgi et Schmidt, 2005).

L’observation des volumes de transport de marchandises en transit en Suisse indique une évidente rupture en 2000 pour le transport routier (Figure A22, à gauche), coïncidant avec l’ouverture de la Suisse aux poids lourds. Dans le même temps, le transport de transit ferroviaire ne connaît pas de rupture (Figure A22, à droite). La rupture correspond, selon cette figure, à une sur-croissance des volumes de transport à travers la Suisse d’environ deux millions de tonnes.

Figure A22. Flux de transit routier (G.) et ferroviaire (D.) à travers la Suisse (volumes en millions de tonnes)

Source : Alpinfo (2006)

La politique restrictive de la Suisse à l’égard du transport routier de marchandises provoquait des reports d’itinéraires en direction des traversées françaises et autrichiennes. Diverses évidences empiriques soutiennent l’idée d’un report provoqué par la réglementation suisse traditionnellement restrictive vers la France ou l’Autriche.

Une étude du SES (Brossier et al., 1998 : annexes) utilise par exemple l’affectation observée des poids lourds de moins de vingt-huit tonnes pour estimer l’impact de cette dernière. Cette étude évalue les reports d’itinéraires à 767 000 poids lourds. Environ deux tiers d’entre eux transitent par la France et un tiers par l’Autriche.

Ailleurs, Banos (1999) estime les reports de trafics routiers suisses vers la France ou l’Autriche en utilisant la théorie de l’information. D’après cet article, la politique restrictive de la Suisse est responsable du report de près d’un million de poids lourds de la Suisse vers l’Autriche ou la France. Il estime qu’environ deux tiers de ces flux transitent par la France.

De même, le bureau d’études MVA a réalisé un modèle d’affectation des trafics routiers permettant d’estimer l’impact de la politique suisse sur les trafics routiers pour le compte du SES (Dornbusch, 1998 ; Méteyer, 2000). Il s’agit d’un modèle de coût routier à l’échelle européenne. Ce modèle permet d’estimer les volumes de trafics détournés de Suisse vers la France et l’Autriche. Une valeur d’un million et demi de poids lourds est estimée.

Enfin, Beuthe et al. (1999) estiment les reports causés par la politique suisse de transport à partir du modèle de réseau NODUS. Ce travail estime qu’environ vingt-cinq millions de tonnes ont été détournées de la Suisse vers la France (onze millions de tonnes) et l’Autriche (quatorze millions de tonnes).

Il ressort donc des différentes estimations des reports d’itinéraires provoqués par la politique de transport suisse (Figure A23) l’idée selon laquelle les politiques nationales de transport entraînent des reports de trafics entre itinéraires. En d’autres termes, ces travaux montrent l’influence des politiques nationales de transport sur l’affectation du transport routier de marchandises.

Figure A23. Les reports de trafics provoqués par la politique suisse (en millions de tonnes, harmonisés en utilisant un taux de vingt tonnes par PL)

Il est donc logique que la disparition de cette réglementation restrictive envers le transport routier se traduise par la diminution des reports d’itinéraires en direction des traversées françaises ou autrichiennes ou, autrement dit, que l’ouverture de la Suisse aux poids lourds de plus de vingt-huit tonnes coïncide avec l’augmentation des trafics traversant la Suisse. L’effet de l’ouverture de la Suisse aux poids lourds de plus de vingt-huit tonnes est donc responsable d’une sur-croissance des volumes de transport routier de marchandises d’environ deux millions de tonnes.