Dans l'analyse de la représentation médiatique de la guerre ivoirienne, nous nous sommes donné un double objectif: d'abord étudier la représentation de la guerre à travers une approche quantitative qui s'articule autour de l’expression thématique et lexicale mais aussi de l’analyse de l’image de la guerre dans les quotidiens; dans un second temps, examiner l'analyse qualitative qui complète l’autre analyse.
Il s'agira d'une part, de focaliser l'analyse de la représentation de la guerre sur certaines occurrences lexicales (« rébellion », « mutinerie », « coup d'Etat », « putsch ou tentative de putsch »); ce qui permettra de définir non seulement les origines et les enjeux de la guerre dans chaque journal mais aussi et surtout la dénomination ou la qualification des événements. D'autre part, il conviendra d'examiner la fréquence de certains termes tels que « assassinats, exécutions, massacres, pillages, tueries, meurtres, carnage etc... » analysés du point de vue de la représentation de la violence qui tendent à présenter la crise politique sous la forme d'une lutte acharnée pour le pouvoir et d’un règlement de compte généralisé dans lequel tout est brouillard, tout est confusion. Cette confusion généralisée des identités politiques, qui caractérise les situations de violence met en scène « la guerre de tous contre tous », si caractéristique du début du conflit. « La guerre est le domaine de l'incertitude; les trois quarts des éléments sur lesquels se fonde l'action restent dans les brumes d'une incertitude plus ou moins grande. Plus qu'en n'importe quel domaine, il faut qu'une intelligence subtile et pénétrante sache y discerner et apprécier d'instinct la vérité. » 21
Le postulat autour duquel s'articule cette analyse lexicale est ici l'importance de la polarisation sémantique qui consiste dans le choix de mots circonscrivant la spécificité du discours sur la guerre. Dans le cas du conflit ivoirien, il y a lieu de dire que l'événement fait l'objet d'un ensemble d'informations non nécessairement homogènes, et c'est le choix d'une polarité qui instaure l'homogénéité et/ou la non-homogénéité de la représentation de la guerre dans le journal. La polarisation de l'événement à travers la fréquence de certains mots, élucidera par conséquent la dimension symbolique du discours médiatique dans un contexte de guerre, qui semble montrer qu'ils soient envisagés comme des « outils » pour qualifier l'événement; les mots dans ce contexte précis, n'apparaissent pas comme des reflets de la réalité mais ils la font, ils la façonnent.
Cette polarisation de la guerre par le recours à un lexique particulier montre les différences, idéologiques ou culturelles, entre les différentes représentations qu'en donnent les quotidiens.
Nous avons ainsi procédé à une structuration thématique de la guerre et de ses différentes composantes en décomposant le thème « guerre ivoirienne » en plusieurs sous-thèmes tels que la représentation des civils, d'acteurs militaires, politiques voire photographiques et caricaturales mais aussi également l'énonciation de la guerre ivoirienne à la « Une »; dans le discours éditorial et enfin la représentation médiatique de l'espace de la guerre qui ont été élaborées par les journaux.
La thématisation consiste ainsi à choisir les paradigmes dans lesquels va apparaître la représentation de la guerre, et, par conséquent, à mettre en évidence les significations attribuées à la guerre par le discours de chaque média; le même événement pouvant faire l'objet d'une représentation spécifique qui montre ce discours comme l'interprétation de l'événement d'un média différent de celle de tel autre média. Cette thématisation permet tout à la fois l'analyse du discours et des informations écrites, l'analyse de l'image et l’interprétation de l'articulation entre l'image et le discours.
Il s'agit de la description ou de la représentation iconique et photographique des acteurs en présence, qu'il s'agisse des acteurs directement impliqués dans la guerre ou les acteurs extérieurs remplissant des fonctions politiques ou diplomatiques de médiation.
La façon de représenter ces acteurs à travers les figures stéréotypées et les logiques symboliques mises en scène, l'appropriation de l'espace de la guerre par les différents belligérants, fait apparaître leurs identités, leurs qualifications et révèle du même coup la position de chaque journal par rapport à eux.
Les représentations photographiques et iconiques montrent la façon dont les caractéristiques de la mise en scène visuelle sont articulées dans le mode discursif global de traitement de l'événement. Ces scénarisations inhérentes au dispositif de la presse écrite et souvent intégrées à l'analyse et au commentaire explicatif des journaux, sont toujours révélatrices d'une certaine orientation de la représentation et donc d'une certaine prise de position explicite ou implicite.
Le récit des combats, c'est-à-dire des événements qui se sont produits au cours de la guerre et la façon dont sont racontés ces événements, révèle des stratégies énonciatives, de représentation ou de dramatisation développées par les quotidiens.
En fin de compte cette représentation de la guerre telle que la réalisent les journaux notamment le choix des paradigmes pour représenter le conflit ivoirien, contribuera à sa qualification c'est-à-dire à sa définition et à sa situation dans l'espace rédactionnel de chaque média: le média définit l'événement, en montre les modalités d'inscription dans le discours d'information, en rend intelligible la représentation.
CLAUSEWITZ (Carl Von), (1955), De la guerre, tr. fr. par Pierre Naville, Paris, Editions de Minuit, p. 86.