Première partie - Guerre et communication : Mise en perspective avec la crise ivoirienne

Les définitions les plus utilisées de la guerre mettent principalement l’accent sur les rapports d’opposition entre les acteurs. Il s’agit d’un affrontement violent, ce qui sépare la guerre aux autres formes de conflit. Dans son ouvrage, De la guerre, Clausewitz considère le duel comme ce qui constitue fondamentalement l’essence de la guerre :

« La guerre n’est rien d’autre qu’un duel à une plus vaste échelle. Si nous voulons saisir en une seule conception les innombrables duels particuliers dont elle se compose, nous ferions bien de penser à deux lutteurs. Chacun essaie, au moyen de sa force physique, de soumettre l’autre à sa volonté ; son dessein immédiat est d’abattre l’adversaire, afin de le rendre incapable de toute résistance » 23

Nous retenons également ici dans cette définition du phénomène de la guerre, l’existence obligatoire d’une représentation de la volonté de guerre qui correspond à une volonté politique préliminaire à tout acte de violence collective. Cet acte de violence a un but politique :

« La guerre est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté. » 24

Cette manifestation de la violence collective telle que la définit Clausewitz, nous amène à penser que toute stratégie guerrière a nécessairement une dimension politique et donc peut être définie comme une forme de guerre. La guerre oppose ainsi à l’individualité du duel classique entre acteurs identifiables le caractère collectif et souvent anonyme des actions guerrières : aussi bien du point de vue de la volonté politique –qui se définit comme celle de la nation-, que celui de la violence mise en place. Comme forme collective de violence, la guerre remet en cause le vivre ensemble et réinstaure une collectivité particulière, caractérisée par l’absence de l’identité singulière, qui se rapproche du totalitarisme ; la guerre tend finalement à faire disparaître l’identité de l’adversaire.

C’est ainsi que la guerre constitue un événement particulier : elle est de nature à changer la configuration d’un espace politique et les logiques du lien social. La guerre remet en cause l’existence même du politique. Le but de la guerre étant d’abattre l’adversaire et donc l’identité de l’autre ne pouvant être représentée que par sa négation totale, elle supprime cette confrontation des identités et met, ainsi, fin au politique. La guerre remet en question la logique de la médiation, en mettant fin à la relation entre le singulier et le collectif principalement par la mort – singulière- qui accompagne la violence collective.

Dans la guerre, la logique de la médiation est remplacée par la rationalité guerrière caractérisée non plus par le passage, mais par une confrontation entre le singulier et le collectif. D’un côté la société entière se réorganise selon les principes de la hiérarchie, des objectifs et des moyens, les rôles changent, en fonction des besoins de la guerre. De l’autre, sur le plan individuel, les mécanismes de défense déclenchés par la souffrance quotidienne imposent le silence et l’atrophie des fonctions du singulier. La coupure se réalise sur le plan de la dimension symbolique qui est entièrement remplacée par l’état conflictuel : le réel et l’imaginaire de la guerre.

Enfin, la question de la violence collective et l’absence de médiation caractéristique pour la guerre soulèvent également le problème de la définition de l’identité guerrière. La force physique qui entraîne la disparition de l’Autre ne peut être mise en œuvre contre l’adversaire qu’après deux étapes qui définissent son identité guerrière. D’un côté, le caractère collectif de la guerre implique une suspension des médiations avec absence des lieux de débat. De l’autre, la nature collective de la violence passe par la désignation de l’ennemi commun : la dimension imaginaire se construit selon une logique réciproque autour de valeurs de menace, de danger et de peur. La violence guerrière ne peut se mettre en œuvre que si sa dimension individuelle est transformée en expression collective de la violence comme réponse réelle à une menace imaginaire.

Pour conclure, nous pensons que la question de la violence guerrière doit être pensée dans l’articulation entre l’absence de médiation que présuppose l’introduction de la violence et la façon dont les pratiques de la communication, notamment les médias, la mettent en scène à travers un système de représentation.

Notes
23.

CLAUSEWITZ (Carl Von), De la guerre, tr. fr. par Pierre Naville, Les Editions de Minuit, Paris, 1955 p.51

24.

Ibid., p. 51