La guerre est, sans conteste, le plus violemment spectaculaire de tous les phénomènes sociaux. La guerre est un ensemble d’actes de violence et il n'y a pas de limite à la manifestation de cet acte. Elle se présente souvent à nous comme le résultat d’un déséquilibre ( la guerre est donc en quelque sorte une sorte de pulsation régulière de la violence, plus ou moins prompte à relâcher ses tensions et à épuiser ses forces- en d'autres termes, qui atteint plus ou moins vite son but). Elle dure cependant toujours assez longtemps pour exercer une influence sur ce but et au cours de son évolution pour rester soumise à la volonté d'une intelligence destructrice, son aboutissement ultime, son point de rupture ou sa liquidation. Sans doute la guerre constitue-t-elle l’événement ultime du politique : à la fois parce que c’est l’existence même d’un pays et de l’identité politique qui peut être suspendue à l’issue de l’affrontement, et parce que la guerre, c’est tout de même, en fin de compte, la mort au bout des engagements et des combats. La guerre, en ce sens, a un rôle et une dimension tout à fait spécifiques dans le champ de la communication, tant par les événements qu’elle représente, qui sont toujours des événements graves, tragiques, que par la décision et l’engagement qu’elle représente, qui sont toujours des choix ultimes. La guerre montre, d’une part, que les identités politiques se fondent dans le conflit, et donc, elle exacerbe les représentations; d'autre part, la guerre suscite toujours des formes de censure et d'auto-censure des médias: elle implique bien, en ce sens, une limite de la communication. La censure est la première forme de suspension de la communication dans le temps de la guerre. Les Etats en guerre se donnent l'illusion de garantir, par la mise en oeuvre de la censure, la pérennité des représentations de l'appartenance et de la sociabilité. La censure entend garantir l'homogénéité de l'information, et, par conséquent, celle des représentations de la guerre, comme pour produire un événement unique, pour effacer la pluralité des interprétations possibles de cet événement et pour le réduire à une seule signification. Elle donne une voix unique à la représentation et à la mise en scène de l'événement: ainsi, la guerre n'existe plus que sous la forme que lui donne la
« réduction censorielle » 25 .
C’est pourquoi la guerre est un moment particulier dans la communication : qu’elle fasse l’objet d’une représentation destinée à l’éviter ou, au contraire, à l’embellir et à y exhorter, ou qu’elle empêche toute communication, dans une sorte d’inhibition des représentations politiques, la guerre représente toujours l’envers du symbolique : l’innommable de la sociabilité. Peut-être, en fin de compte, la guerre ne peut-elle être représentée dans la communication que sous la forme d’un « war game » 26 , d’une « jolie guerre ». On connaît les vers d'Apollinaire « Ah Dieu! Que la guerre est jolie » expression d'une expérience de la guerre dans les tranchées champenoises, des horreurs d'une guerre qui de 1914 à 1918 fera des millions de morts et de blessés. Bref, ces déplacements et ces déformations constituent comme des figures de styles permettant au discours d’échapper à l’image crue de la mort dont la guerre nous impose la présence au cœur de la communication.
LAMIZET (Bernard), Sémiotique de l'événement, op. cit., p. 241.
WOLTON (Dominique), (1991), War game. L’information et la guerre, Paris, Flammarion.