1-1 La guerre est une violence collective

Violence d’un Etat contre un autre, d’un peuple contre un autre, la guerre est la mise en œuvre d’une violence collective, qui peut, dès lors s’interpréter de deux façons. D’une façon fonctionnelle (c’est l’interprétation et la représentation qu’en donne, par exemple, Clausewitz), la guerre est un instrument en vue d’une finalité : « contraindre l’ennemi à se plier à sa volonté », pour reprendre ses termes; c’est, très exactement, le cas de la stratégie de guerre évoquée en 2002 par les Etats-Unis contre l’Irak en vue d’obliger ce dernier à se plier à leur volonté. Sur le plan symbolique, la violence est toujours un fait réel qui distingue un acteur social d’un autre : c’est par la violence que nous manifestons l’usage de notre force, et, ainsi, la dimension primitivement réelle de notre existence. L'hubris 27 , impossibilité de se reconnaître en l'autre, empêche, ainsi de le comprendre. C'est de là que naît la violence, puisqu'elle consiste à ne pas reconnaître l'autre comme porteur des mêmes droits et des mêmes représentations politiques que soi. En ce sens, la guerre est une occasion, pour un pays, de mobiliser la population et de renforcer le sentiment d’identité d’appartenance collective, en lui donnant une référence bien réelle, celle de l’affrontement avec un autre pays. Faire la guerre, c'est chercher, nous dit Clausewitz, à soumettre l'adversaire à sa volonté: « Chacun » écrit-il 28 , « essaie, au moyen de sa force physique, de soumettre l'autre à sa propre volonté; son dessein immédiat est d'abattre l'adversaire, afin de le rendre incapable de toute résistance. La guerre est donc un acte de violence destiné à contraindre l'adversaire à exécuter notre volonté ». Selon cette définition, la guerre consiste à faire disparaître la volonté de l'adversaire, c'est-à-dire son identité même. Pendant la guerre, l'autre ne se regarde pas en face, car elle lui refuse l'identité, l'existence.

C’est le sens de la communication autour de la guerre qui avait cours en France juste avant la guerre de 1914, ou encore le sens des appels à la guerre contre les Etats-Unis, lancé en 1991 dans certains pays arabes. Ou la violence collective est dirigée vers la finalité de soumettre l’autre, et elle est dans le réel d’une dimension fonctionnelle, ou elle est l’occasion de manifester le réel d’une force et d’une identité nationale, et elle est toujours la fin du symbolique, le moment de passage à l'acte.

Dans ces conditions, la guerre manifeste toujours un antagonisme sans médiation possible et sans représentation possible : c’est le sens de la rupture des relations diplomatiques entre deux pays, premier moment de la situation de guerre. Qu’il s’agisse de manifester le réel de la force dont on dispose ou d’exercer une pression sur un autre pays, la guerre est toujours un moment d’interruption de l’exercice des médiations et, donc du politique : « La guerre est une simple continuation de la politique par d'autres moyens. Nous voyons donc que la guerre n'est pas seulement un acte politique, mais véritablement un instrument politique, une poursuite des relations politiques, une réalisation de celles-ci par d'autres moyens » 29 . En situation de guerre, le politique n’a plus de sens, puisque c’est au nom du réel de la violence que la guerre institue un pacte social et produit l’unification du pays, alors que le politique est là pour unifier un pays au nom de la dimension symbolique d’un certain nombre de représentations communes et d’engagements partagés.

Violence collective, en effet, la guerre est antinomique avec la sociabilité, qui suppose une représentation du collectif en termes de médiation et non en termes de rapports de force, et qui se fonde sur une identification symbolique, refusée par la guerre, en raison de la mort qu’elle sous-entend. On ne peut s’identifier symboliquement à l’autre, en situation de guerre, puisque l’adversaire est, par définition, voué à la disparition. La guerre n’a pas d’autre finalité que celle de soumettre l’autre, c’est-à-dire de le faire disparaître en tant qu’acteur social et politique (il n’a plus de volonté propre) ou de le faire disparaître au sens réel de ce terme (la guerre peut avoir pour finalité ultime la mort de l’autre en ce sens que l'engagement de la guerre suppose une décision politique, et, donc, ainsi une manifestation d'existence dans l'espace politique de la délibération et du débat).

Notes
27.

Dans la traduction classique de ce mot « hubris » signifie « déchirure »

28.

CLAUSEWITZ (Carl Von), (1955), De la guerre, Les éditions de Minuits, Paris, p. 51.

29.

CLAUSEWITZ (Carl Von), De la guerre, op. cit., p. 67.