1-2 La violence comme fin de la médiation

Toute violence s’inscrit à l’horizon de la disparition possible de celui sur qui elle est exercée, ce qui, à terme, signifierait même la disparition du lien social ; en effet l’impossibilité de se reconnaître en l’autre, empêche de le comprendre. C’est de là que naît la violence, puisqu’elle consiste à ne pas reconnaître l’autre comme porteur des mêmes droits et des mêmes représentations politiques que soi. La violence politique consiste donc, d’abord, à imposer à l’autre des modes de pensée et des pratiques sociales qui lui sont étrangères, en ne reconnaissant pas la spécificité et la légitimité des siennes. En ce sens, la violence marque la fin de la communication puisqu’on se considère comme seul détenteur d’une parole légitime que l’on cherche à imposer à l’autre. C’est de cette manière que s’est imposée, en particulier, la violence colonialiste, qui consistait dans le refus de reconnaître la spécificité des médiations symboliques et institutionnelles dont étaient porteurs les peuples conquis.

Comme aucune communication n’est possible, la violence substitue les rapports de force à la mise en œuvre des rapports symboliques. La violence politique peut ainsi prendre la forme de deux ruptures de communication. La première est le refus de reconnaître la légitimité politique d’une parole différente de la sienne et est donc, une violence symbolique. La seconde est l’usage de la force pour contraindre l’autre, au lieu de le convaincre par l’argumentation ou la négociation. La violence n’est, dans ce cas, pas seulement symbolique : c’est une violence matérielle, réelle, physique, qui empêche l’exercice de la fonction symbolique du langage et de la médiation.

En définitive, la violence, est l’absence des médiations et l’établissement d’un rapport de forces avec l’autre qui empêche l’identification symbolique avec ce dernier. La violence consiste à ne plus reconnaître l’autre comme semblable à soi, et, par conséquent, elle consiste à lui infliger des blessures et des souffrances que l’on ne voudrait pas se voir infliger. La violence nous empêche de voir l’identité de l’autre, elle nous aveugle en nous empêchant de reconnaître l’image spéculaire que l’autre nous renvoie de nous-mêmes. D'où l'importance du thème de la cécité dans les récits de guerre comme l'Iliade d'Homère.

Le schéma de Totem et tabou 30 est assez identique: après le meurtre du père et le festin cannibale, ce n'est pas l'identification héroïsante qui domine mais au contraire la honte et la souillure de la culpabilité.

Les frères se regardent et se découvrent incapables de s'admirer au miroir de leur crime; horrifiés par ce qu'ils ont fait, vacillants de vertige au bord du vide de l'autorité, ils reculent devant leur propre transgression. « Un jour, les frères chassés se sont réunis, ont continué et mangé le père, ce qui a mis fin à l’existence de la horde paternelle. Une fois réunis, ils sont devenus entreprenants et ont pu réaliser ce que chacun d’eux, pris individuellement, aurait été incapable de faire » 31 .

Notes
30.

FREUD (Sigmund), (1951), Totem et tabou, trad. Par S Jankélévitch, Paris, Payot.

31.

FREUD (Sigmund), Totem et tabou, op. cit., p. 212