1-6 La communication après la guerre

Dès le temps de la guerre, les médias et la communication en préparent la fin. Qu’ils se situent, d’ailleurs, dans l’espace politique des pays concernés ou dans un autre, les médias élaborent les représentations symboliques de la négociation, de la paix et du retour du politique. En effet, ils forment la mémoire des opérations, ils font apparaître l’identité politique des acteurs qui dominent l’espace politique pendant le déroulement de la guerre, et ils anticipent sur la représentation des relations politiques et des rapports institutionnels qui vont suivre la guerre. Il s’agit ici de l’élaboration de tout un ensemble de discours et de stratégies de communication qui préparent l’après-guerre, en mettant en scène les représentations des acteurs dominants, organisant, ainsi, sur le plan symbolique, une véritable mise en scène du pouvoir politique et des institutions à venir. C'est pourquoi la guerre représente, pour l'Etat qui la livre, un moment originaire -à tout le moins structurant. La guerre refonde l'Etat qui la met en oeuvre, elle restructure, reconfigure les relations et les identités politiques constitutives de cet Etat. Dans ces conditions, toute guerre constitue une rupture, elle-même à l'origine de nouvelles formes et de nouvelles procédures de médiations dans la mise en oeuvre d'un nouvel espace public. La guerre, toujours, ouvre une nouvelle histoire, elle se pense par une rupture et par une différenciation d'avec l'époque et l'historicité qui la précèdent et la rendent intelligible. En définitive, la guerre recompose les identités politiques et suscite de nouveaux acteurs dans l’espace public. Elle se caractérise par une rupture radicale avec l'ordre institutionnel établi avant que les identités ne surviennent.

Les médias représentent l’espace public international institué à l’occasion de la guerre : ils mettent en scène l’activité diplomatique qui organise par avance le système des pouvoirs et des acteurs politiques de l’après-guerre. En rendant compte des négociations et de la préparation de la paix, ils font apparaître, par conséquent, la reformulation des identités politiques restructurées pendant le conflit et donnent les instruments qui permettent d’évaluer et d’apprécier les rapports de forces et les rapports de pouvoirs nés pendant la guerre. Par ailleurs, les médias et les discours de la communication articulent l’un à l’autre deux espaces publics, en faisant apparaître, à la fois, leur singularité et leur confrontation. Il s’agit de l’espace public intérieur, né de la restructuration -liée à la guerre- des enjeux, des acteurs et des identités politiques et de l’espace public extérieur, constitué par les relations et les activités de la diplomatie et de la communication entre le pays en guerre et les autres.

En mettant en œuvre la dimension symbolique des stratégies des acteurs politiques dans l’exercice du pouvoir ou dans une position d’adversaires du pouvoir, les médias assurent la médiation et la confrontation de ces stratégies et de ces pratiques institutionnelles aux stratégies et aux pratiques institutionnelles mises en œuvre dans l’espace public international. Dans la perspective de l’après-guerre, les médias articulent la représentation des identités politiques intérieures à celles qui sont extérieures au lieu où se déroule la guerre (autres pays, discours et stratégies des acteurs et des médiateurs de la communauté internationale, acteurs des organisations humanitaires, etc.).

En définitive, entre ces trois étapes de la matérialisation symbolique de la guerre par les médias, l’avant, le pendant et l’après, nous avons choisi en particulier, la seconde en l’occurrence la communication pendant la guerre. Pendant cette période, les médias font le récit du conflit : ils ont une fonction d’accompagnement narratif et de suivi symbolique de sa représentation. En racontant, l’un après l’autre, les événements qui se succèdent et qui forment le tissu matériel et le réel de la guerre, les médias pérennisent, malgré la situation, l’existence d’un tissu symbolique qui nous permet de continuer à penser le conflit et de comprendre les logiques qui le sous-tendent. En effet, au fur et à mesure de son déroulement, les médias font apparaître l’évolution du sens de la guerre et de ce qu’elle implique pour les acteurs politiques, militaires voire civils : c’est que, dans le temps symbolique de la guerre, celle-ci n’a pas toujours le même sens, elle ne présente pas toujours la même chose, on ne se réfère pas toujours aux mêmes faits pour la comprendre. C’est donc cette communication pendant la guerre qui donne une consistance et une lisibilité à ses différents points de vue et modes d’analyse. Dans cette perspective, la communication pendant la guerre, par ses mises en scène, ses interrogations, ses représentations, ses analyses aussi, permet ce que l’on peut appeler l'inscription de la guerre dans notre rationalité politique. La communication pendant la guerre institue une forme d’intelligibilité et d’interprétation des événements ; en ce sens, permet de formuler les logiques de compréhension et d’interprétation des événements du conflit, et par conséquent, d’intégrer la guerre à notre univers culturel et à notre système de rationalité.