1- Dynamique et nature des conflits en Afrique de l’Ouest

« Si l'on considère l'ensemble de l'Afrique occidentale, seules les républiques du Bénin et du Ghana semble connaître une évolution sans heurts majeurs. Partout ailleurs, on constate la persistance de tensions anciennes ou la montée de nouvelles difficultés. La situation générale paraît en voie de dégradation du Sénégal au Niger et de la Guinée-Bissau au Togo en passant par le Nigeria et le Burkina Faso, le Mali, la Guinée et le Libéria, sans compter la Côte d'Ivoire. Tout ceci évoque une évolution sans nostalgie avec celle qui prévaut depuis quelques années déjà en Afrique centrale » 33 . Ce constat, dressé en 1999 par la revue « Afrique contemporaine », fait figure de bilan d'une décennie au cours de laquelle la sous-région traditionnellement présentée comme un havre de paix et de stabilité du continent a sombré dans la violence.

Les conflits en Afrique de l’Ouest sont considérés comme des conflits de type nouveau, en ce qu’ils sont atypiques, meurtriers, violents, souvent anormalement longs ; ce sont des conflits à l’intensité variable et discontinue dans l’espace et dans le temps. Ces conflits, internes à des Etats, impliquent de sérieux problèmes sous-régionaux et transfrontaliers, avec souvent l’implication d'Etats voisins et/ou de populations voisines, l’instrumentalisation de communautés interethniques : « Deux phénomènes sont directement liés à ces évolutions :

celui de la régionalisation des crises, parce que les ethnies sont souvent transfrontalières, l’affaiblissement des structures étatiques. » 34 (voir page 39, les cartes des conflits)

Cartes des conflits en Afrique de l’Ouest (p.39)
Cartes des conflits en Afrique de l’Ouest (p.39)

Source : Le Monde Diplomatique

Ces conflits, même s’ils sont prévisibles, surprennent par leur soudaineté et contrastent avec les conflits interétatiques, dans la mesure où il n’existe pas souvent de déclarations de guerre, ni même le moindre respect des normes, conventions et traités aux droits humains et au droit international humanitaire. Pire, ils n’ont cure des normes et valeurs traditionnelles de l’Afrique et donnent l’impression de se dérouler dans le chaos, l’anomie sociale, la perte de sens (atrocité en Sierra Leone, au Libéria, en Côte d’Ivoire).

Les grilles de lecture classiques ne rendent compte que de manière lacunaire des crises qui secouent l’Afrique en général et l’Afrique de l’Ouest en particulier ; il convient donc d’envisager de nouveaux paradigmes qui mettent l’accent sur des facteurs déterminants, parmi lesquels le leadership ethnique voire identitaire, le leadership politique. Du point de vue de l’ethnicité, l’interprétation masque souvent les causes réelles, profondes et les facteurs déclencheurs des conflits. Cela ne veut pas dire que l’ethnicité ne joue pas ou n’intervient pas dans la dynamique des conflits. L’ethnicité intervient surtout dans la distribution de l’espace, des alliances qui peuvent se nouer au-delà des tracés des frontières reconnues des Etats.

La question du tracé des frontières héritées de la colonisation et qui ne coïncide pas avec les aires culturelles linguistiques voire des populations est également souvent invoqué comme causes profondes. Les Etats issus de la colonisation, puis de la décolonisation, ont vu leurs limites et leurs configurations, en quelque sorte, imposées par les colonisateurs, sans qu’il y ait eu d’adhésion à ces identités géographiques de la part des populations concernées. En plus de ces considérations, s’ajoutent la mal gouvernance, la corruption, les atteintes massives et récurrentes aux droits humains, à la démocratie et à l’état de droit. On peut également citer le manque de transparence lors des élections (coups d’Etat électoraux issus de mascarades électorales), les coups d’Etat constitutionnels (pour maintenir des présidents à vie en bloquant le processus d’alternance démocratique) et les coups d’Etat militaires, bref, le déficit de démocratie, l’accès et le maintien au pouvoir par tous les moyens, l’accès aux ressources par tous les moyens.

La question financière figure en bonne place parmi les causes profondes des conflits et les crises qui minent l’Afrique et, tout particulièrement l’Afrique de l’Ouest. (Côte d’Ivoire, Libéria, Sierra Leone).

Notes
33.

DECRAENE (Philippe), (1999), «  Panorama des problèmes politiques et militaires de l'Afrique de l'Ouest », Introduction au dossier sur l'Afrique de l'Ouest coordonné par Gaulme François, Afrique contemporaine, n°191, 3ème trimestre, p. 3.

34.

PASCALINI (Valérie) (1996), « L’évolution des conflits en Afrique » In La revue Internationale et Stratégique n° 58, p.23