1- La difficile émergence d'un concept

La notion d'ethnicité, absente des sciences sociales jusqu'au milieu des années 80 et au début des années quatre-vingt-dix, reste encore relativement taboue et embarrassante.

Streiff-Fenart ⁷² rappelle que le désintérêt des sciences sociales françaises pour la thématique des relations ethniques est dû à plusieurs facteurs depuis longtemps identifiés. Tout d'abord, la tradition jacobine qui imprègne les milieux universitaires et de la recherche, voit une menace dans toute expression d'un particularisme; le marxisme ambiant des années 60-70 associe l'ethnicité à une parodie des conflits de classes et le structuralisme ne s'accorde pas avec la dimension dynamique de l'objet interethnique; à cela s'ajoute la difficulté à constituer l'étude de l'ethnicité comme discipline ou une sous spécialité, celle-ci étant rangée dans la catégorie des sciences transversales difficilement classable dans les découpages disciplinaires reconnus par l'institution.

De son côté, Martiniello souligne que malgré une progression significative du concept dans les sciences sociales, il n'est que très peu connu dans le champ académique. C'est ainsi que dans la plupart des dictionnaires spécialisés en ethnologie et en anthropologie «  il n'y a pas d'entrée pour ethnicité. Le sujet est traité sous les rubriques « ethnie » et « ethnies minoritaires ». De même, le concept d'ethnicité est pratiquement absent de la plupart des dictionnaires et des ouvrages introductifs de sociologie et de sciences politique. » ⁷³ Deux grandes raisons semblent expliquer cette désertion. Certains y voient une arme idéologique au service du racisme car le « concept serait en quelque sorte le fruit d'une tentative d'actualiser les théories raciales et racistes du siècle dernier » ⁷⁴ , alors que d'autres dénoncent une invention américaine qui peut s'avérer utile outre-Atlantique mais qu'il est vain d'appliquer en Europe et particulièrement en France. Certes, nous le verrons plus loin, l'histoire a montré que plusieurs conceptions de l'ethnicité ont pu s'inscrire dans un paradigme à dominante raciste. Nous le voyons, le choix d'une posture de recherche en terme d'ethnicité n'est pas chose facile.