2-2 Une fonction mobilisatrice

Dès lors, les groupes ethniques se constituent comme des entités qui participent de l'organisation de l'espace social, ceci dans la mesure « où les acteurs utilisent des identités ethniques pour se catégoriser eux-mêmes et catégoriser les autres dans des buts d'interaction » 82 . Les relations interethniques peuvent alors apparaître sous une double face, sombre d'un côté, claire de l'autre.

Le côté sombre serait lié à la fonction d'enfermement et de repli des groupes dans une attitude jugée dangereuse car ouvrant la porte à la racialisation, à l'extrémisme, à l'intégrisme et au refus de l'Universel, nous sommes là du côté des dominés ou des minoritaires. Concernant les dominants, la face sombre se décline en des termes négatifs: stigmatisation, ségrégation, sécurisation, relégation et privation de l'Universel.

Pour Wieviorka, « les mouvements ethniques peuvent s'enfermer dans le rejet de la modernité et rêver d'un fondamentalisme de plus en plus réactionnaire, mais il serait aussi faux de les réduire à ce refus de la modernité que de ne voir dans le mouvement ouvrier naissant que le rejet de la modernisation. » 83

L'auteur met à jour une face claire de l'ethnicité qui serait porteuse d'une fonction d'intégration et de participation des catégories dominées à la société dominante. La mobilisation ethnique permet de s'ancrer dans la modernité, non pas par un processus d'assimilation hypothétique, mais par la production d'orientations culturelles et sociales modernisatrices. Les ressources ainsi mobilisées constituent alors un précieux soutien pour accéder à une modernité souvent rendue inaccessible par la précarité économique ou sociale et par la discrimination. Contre la face sombre qui ancre le phénomène ethnique dans des valeurs anciennes et démodées ou à travers une lecture culturaliste, Wieviorka affirme que « l'ethnicité peut-être et est souvent le seul principe de construction de soi, pour ceux qui, surtout quand ils sont émigrés, ne peuvent se définir par ce qu'il font, car ils sont chômeurs ou enfermé dans des activités inférieures ou marginales [...] Ce repli sur l'identité culturelle, à condition surtout qu'il soit associé à une conscience contestataire de la domination ou de l'aliénation subie, [représente] la seule voie possible de construction de soi comme acteur social, capable d'initiative et de contestation aussi bien que de participation ou de négociation» 84 .

Notes
82.

POUTIGNAT(Philippe), STREIFF-FENART (Jocelyne), Théories de l'ethnicité, op. cit., p.211.

83.

WIEVIORKA (Michel), DUBET (François), LAPEYRONNIE (Didier), KHOSROKHAVAR (Farhad), MARTUCELLI (Danilo), (1996), Une société fragmentée? Le multiculturalisme en débat, La découverte, Paris, p.308

84.

WIEVIORKA (Michel), Une société fragmentée? Le multiculturalisme en débat, op. cit., p. 306-307