1-4 Le chaos économique ivoirien.

La principale caractéristique de l’espace de la guerre est la violence suscitée par la rupture de la médiation qui entraîne du coup un effet perturbateur de l’équilibre social. La représentation de la guerre oppose ainsi la guerre et ses effets au sein de l’espace public.

Par conséquent, la représentation de la guerre pour les médias ne va pas se limiter à produire un discours d’information sur l’évolution de la guerre et les opérations militaires sur le terrain. Le discours médiatique représente également d’autres aspects du fonctionnement du pays, notamment l’activité économique dans les zones de conflit.

Ce discours médiatique sur les soubresauts de l’économie ivoirienne pendant la guerre, s’il est présent dans les médias, s’explique par l’importance de la Côte d’ivoire tant sur le plan sous- régional que sur le plan international. Alors, le discours médiatique dans les journaux emprunte les formes d’une analyse économique à l’aide d’un lexique évaluatif fait parfois de chiffres et de pourcentages, permettant de montrer la prépondérance de l’économie au sein du commerce international avant la crise et sa déliquescence au lendemain des événements du 19 septembre 2002 qui ont entraîné la partition du pays en deux blocs (Nord/ Sud).

Le poids économique de la Côte d’Ivoire dans le commerce international est mis en relief dans des expressions très récurrentes avec un cumul de 45 occurrences dans les deux quotidiens « premier producteur mondial de cacao » « premier producteur mondial de fèves avec 40 % de parts de marché ». « La Côte d’Ivoire représentait avant la crise, 40 % du marché monétaire » (Le Monde 31 octobre2002)

Ce même discours qui définit l’essor économique du pays dans la sous région africaine et qui permet de le qualifier de « miracle ivoirien » ou de « modèle ivoirien » avant les événements, est perceptible dans des expressions telles que « le géant économique de l’Afrique de l’Ouest », « la locomotive économique de la sous région », « la vitrine économique de l’Afrique de l’Ouest ».

Toutefois aussi bien dans Le Monde que dans Libération, le discours médiatique en utilisant ces expressions métaphoriques qui symbolisent le poids économique de la Côte d’Ivoire, les fait précéder de l’adverbe de temps « avant » qui permet d’introduire une rupture entre une période passée faste de l’économie et un présent caractérisé par l’essoufflement.

L’essoufflement de l’économie ivoirienne est exprimé dans le discours médiatique par son aspect anaphorique dans les titres des journaux « Côte d’Ivoire : Bouaké ville fantôme, s’enfonce dans la peur et la pénurie «  (Le Monde 11 octobre 2002), « La partition de la Côte d’Ivoire installe le pays dans le marasme et l’économie de guerre » (Le Monde 30 octobre 2002), « En Côte d’Ivoire, le couvre-feu provoque l’engourdissement généralisé de l’économie » (Le Monde 25 décembre 2002), « L’économie ivoirienne à bout de souffle » (Libération 14 octobre 2002), « Le cacao, nerf de la guerre ivoirienne » (Libération 23 octobre 2002).

Les difficultés économiques sont traduites d’une part, par un lexique de la décadence qui s’apparente à la pathologie « les rares installations industrielles sont paralysées », « l’économie de la Côte d’Ivoire frise l’asphyxie » « une économie à bout de souffle »,  « l’activité économique portuaire est paralysée » « une économie sous perfusion » mais aussi d’ « hémorragie conjoncturelle » de « marasme économique » et enfin d’ « engourdissement généralisé de l’économie ».

D’autre part, les thèmes de la carence et de la chute se retrouvent dans le discours dans les mots « pénurie », « faillite », « économie de guerre », « les circuits économiques traditionnels sont sens dessus dessous ».

Cet essoufflement de l’économie du pays du fait de la guerre, avec les multiples blocages résonne dans Le Monde comme un aveu d’impuissance pour les autorités gouvernementales : « La situation est dramatique (…) le géant économique de l’Afrique de l’Ouest francophone, marche au ralenti » (Le Monde 30 octobre 2002), « Cela va avoir un effet boule de neige dévastateur » (Libération 23 octobre 2002).

Par ailleurs, le discours d’information insiste sur la partition du pays en deux zones (Nord/Sud) avec d’un côté, le Nord du pays conquis par le mouvement rebelle et de l’autre, le Sud, sous contrôle gouvernemental comme l’un des facteurs qui a entraîné l’essoufflement de l’économie à travers l’expression « économie de guerre ». Dans le discours médiatique, l’espace de la guerre ne représente pas seulement les identités politiques des protagonistes en conflit, mais cet espace est représenté avec sa fonction symbolique, sous forme de puissance pour la rébellion (« Au Nord, dans les deux tiers du pays que contrôlent les rebelles du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire(MPCI), plus rien n’entre et plus rien ne sort ») et de faiblesse pour les autorités gouvernementales (« dans le Sud, alors que de nombreuses petites entreprises sont menacées de faillite, l’actuelle partition de la Côte d’ivoire serait préjudiciable aux autorités » (Le Monde 31 octobre 2002).

Le discours médiatique montre que dans chaque guerre, il se produit évidemment des perturbations d’ordre économique. Les unes sont des destructions alors que les autres sont des pertes : elles sont en général subies. Quoi qu’il arrive, la guerre comporte toujours des déplacements de richesses, provoqués par le pillage, les déprédations, les confiscations, l’occupation de territoires qui plonge le pays dans une conjoncture de guerre. La complexité du conflit, dont les origines sont multiples, peut laisser croire que cette guerre résulte aussi d’un déséquilibre économique insupportable et difficile à résoudre autrement que par la violence.