La représentation médiatique de la crise ivoirienne comme toute information est appréhendée dans un flux temporel. En effet, dans la logique de fonctionnement des médias, tout événement n’occupe l’actualité du journal que pendant un certain temps, servant de référence implicite au lecteur car toute information qui accède à la Une est implicitement reconnue comme importante par le journal. Cette page apparaît comme la « vitrine du journal et de ses choix » 151 . « La mise en page construit le cadre dans lequel la communication peut s’effectuer. Elle dit en quelque sorte : vous lisez tel journal, organisé de telle façon, avec tel regard sur le monde. Elle propose un certain nombre de repères qui permettent de circuler dans le journal ou dans une information, à plusieurs niveaux tout en suggérant, par le rubricage un regard sur l’événement» 152 . Les quotidiens vont donc ordonner la représentation de l’actualité selon une mise en page et une organisation des titres et des accroches, de nature à souligner le point de vue sous lequel est présentée l’actualité. Mais cette représentation ne saurait être totale. Les médias ne pouvant tout dire, il se produit alors toutes sortes de sélections, toutes sortes de tris, toutes sortes de choix, qui permettent aux médias de ne pas dépasser les normes quantitatives. Ce choix est, en soi constitutif d’un sens, car il s’agit, pour le discours sur l’actualité, de rendre raison non de l’actualité, ce qui serait impossible, mais des dynamiques et des logiques de l’actualité qui s’inscrivent dans la logique de la médiation exercée par le média.
Dans Le journal quotidien, Maurice Mouillaud et Jean-François Tétu considèrent, à la différence d’Eliséo Véron, l’événement- catégorie référentielle par excellence- comme la base de toute classification des écrits journalistiques. Cette classification organise l’information, puisque « le journal est en effet structuré par une opposition entre deux régions : une région qui donne directement sur le dehors, constituée par les pages extérieures (la Une et la dernière) et la région des pages intérieures ; on peut appeler les premières « exposées », les secondes pages « couvertes » ; à leur opposition correspond une différence dans le traitement de l’information ; on constate, en effet, que les pages internes sont ordonnées en rubriques alors que celles-ci sont absentes de la Une et de la dernière » 153 . Cette opposition qu’opèrent Mouillaud et Tétu entre les pages externes et les pages internes montre que celles-ci sont fermées par le titre-rubrique qui les couvre, celles-là sont ouvertes à n’importe quelle catégorie d’information. Une telle catégorisation de la mise en page de l’information au sein des journaux, montre que la Une fonctionne différemment des autres puisque sa mise en page génère ainsi des « effets de sens » qui sont la condition même de la lisibilité du journal.
Cette mise en forme, tout en instaurant entre le journal et ses lecteurs un contrat de lecture, suggère un mode de lecture. C’est ainsi, en fonction de la mise en forme qui conjugue similitudes et différentiations, que les différents journaux multiplient les ressemblances tout en cultivant les différences indispensables à leur identité. Ils choisissent une stratégie en fonction de leur conception de l’information, en fonction de leurs lecteurs et de leur image dans le paysage médiatique. La différence inhérente à la Une de chaque journal s’illustre dans Le Monde et dans Libération. Claude Jamet et Anne-Marie Jeannet analysant les caractéristiques de la Une des journaux, notent pour ce qui concerne : Le Monde, « la mise en page de la Une du « Monde » avait assez peu évolué en cinquante ans. Le « nouveau Monde » apparaît en janvier 1995. Le changement n’est pas révolutionnaire, mais significatif. L’ancien « Monde » était caractérisé par la colonne de gauche consacrée à l’éditorial de politique étrangère, les deux articles de la moitié supérieure (tenant compte du fait que le journal est présenté plié en en kiosque) et le dessin de Plantu. Le nouveau conserve les deux derniers éléments qui marquent son identité. Il renforce l’image du temple par le nom du journal qui n’est plus séparé du reste de la page que par un mince filet bleu» 154 .
En ce qui concerne Libération, sa singularité repose dans le fait qu’il est le « journal qui joue le plus sur les effets de sens de la mise en page de la Une. C’est peut être la Une la plus télévisuelle avec un cadrage sur un titre et une photographie et le souci de donner plus à voir qu’à lire» 155 .
Une telle configuration de la Une des journaux s’illustre t-elle dans le traitement médiatique de la crise ivoirienne ? Il s’agira de montrer comment les journaux à partir de l’élaboration de la Une construisent un « effet de sens » qui relève de leur position idéologique et politique. Nous étudierons dans ce chapitre une sémiotique de la Une centrée sur le discours monstratif du journal : système des titres, fonction signalétique de la Une. Cette étude s’articulera autour d’une triple approche lexicale, sémantique et syntaxique comme élaboration du sens de l’information sur la crise ivoirienne.
Entre le 19 septembre 2002 et le 19 septembre 2003 soit 12 mois au cours du déroulement du conflit et correspondant à notre période d’analyse, la crise ivoirienne a fait quatre fois la Une du journal Le Monde et cinq fois celle de Libération. Dans Le Monde, nous relevons une première « Une » au mois d’octobre (« Côte d’Ivoire : enquête sur une mystérieuse rébellion » Le Monde 11 octobre 2002) correspond au déclenchement du conflit et explique la nécessité pour le journal de trouver un sens par la contextualisation des événements. Deux autres « Une » paraissent au mois de janvier (« La France convoque les partis ivoiriens ») Le Monde 5/6 janvier 2003, («Côte d’Ivoire : accords de Paris, affrontements sur le terrain » Le Monde 25 janvier 2003). Cette occurrence de la crise s’explique par l’implication de la France, qui a abouti aux négociations puis à la signature des accords de Marcoussis. Il y a enfin, une dernière « Une » (« Les escadrons de la mort de Gbagbo » Le Monde 8 février 2003), qui représente les événements sous la forme d’un règlement de compte aux allures macabres (enlèvements, assassinats). Nous constatons de prime abord que l’apparition de la crise ivoirienne à la Une des journaux exprime une certaine chronologie. Du point de vue chronologique, ces neuf Unes relevées se concentrent exclusivement entre septembre 2002 et février 2003 soit sur 6 mois sur une période de 12 mois. Ces Unes propres aux journaux Le Monde et Libération s’articulent essentiellement autour de deux moments clés du conflit. Nous avons d’une part, un premier groupe de Unes consacrées à la nature des événements du 19 septembre 2002 (« tentative de putsch ») et au brouillard qui les entoure et que l’on retrouve entre septembre et octobre 2002 ; d’autre part, nous avons un second ensemble de Unes entre janvier et février 2003 relatives à l’action diplomatique de la France pour résoudre le conflit, notamment avec les accords de Marcoussis. Ainsi les journaux ont consacré deux Unes à la première période traitant de la nature des événements : « Côte d’Ivoire. Les mystères d’une mutinerie » (« Libération 30 septembre 2002 ») et « Côte d’Ivoire : enquête sur une mystérieuse rébellion » (« Le Monde 11 octobre 2002) ». Même si du point de vue chronologique, on note un décalage de deux semaines entre la Une de Libération et celle du quotidien Le Monde, ce qui retient plus l’attention, c’est qu’elles développent la même thématique, celle de la nature des événements du 19 septembre 2002. Quant aux Unes relatives à l’implication diplomatique de la France, nous en relevons quatre, deux Unes pour chaque quotidien. Au sein de ces quatre Unes, se dégage une certaine symétrie, dans la mesure où, à la Une du Monde du 6 janvier « La France convoque les partis ivoiriens à Paris » semble correspondre celle de Libération du 15 janvier « Côte d’Ivoire. Le palabre de Paris ». Pour la même période à propos du traitement médiatique de l’information sur les accords de Marcoussis, nous notons également une autre symétrie des titres entre Le Monde qui titre à la Une du 25 janvier 2003, « Côte d’Ivoire : accords à Paris, affrontements sur le terrain » et (Libération 27 janvier 2003) : « Côte d’Ivoire. La France en otage ». Néanmoins, au-delà de ces similitudes thématiques, il y a des divergences qui caractérisent d’autres Unes. C’est le cas notamment des Unes de Libération « Côte d’Ivoire : La France dans le piège » (3 janvier 2003), « Irak-Côte d’Ivoire. Chirac peut-il tenir ? » alors que Le Monde traite dans sa dernière Une des « escadrons de la mort de Gbagbo » (Le Monde 8 février 2003).
La construction lexicale et syntaxique des titres de la Une sur les événements du 19 septembre 2002 « Côte d’Ivoire. Les mystères d’une mutinerie » « Libération 30 septembre 2002 » et « Côte d’Ivoire : enquête sur une mystérieuse rébellion » « Le Monde 11 octobre 2002 », permet d’effectuer certaines remarques. Il faut remarquer que du point de vue de leur contenu, il s’agit de titres événementiels à valeur explicative, puisqu’ils préfigurent une synthèse sur les événements du 19 septembre 2002. On note également que les deux quotidiens ont fait porter leur titrage sur les termes « mystères » pour Libération et « mystérieuse » pour le journal Le Monde.
Ces deux termes reflètent la confusion qui entoure selon les médias, les événements du 19 septembre 2002. Un tel choix de termes entraîne une élaboration de plusieurs grilles de lecture de la tentative de putsch qui a bouleversé la Côte d’Ivoire, à propos de laquelle il est difficile de donner des raisons, de distribuer des noms, des visages et des rôles. En d’autres termes, ces Unes prennent en charge le souci des médias de donner un sens aux événements. Nous sommes ici dans une situation de titrage sur un événement inattendu pour lequel les grilles d’analyse n’ont pas été élaborées à l’avance par les médias, ce qui crée une ambiguïté, qui explique que ces titres soient construits lexicalement en fonction de cet aspect inattendu de l’événement.
Par ailleurs, ces titres que proposent la Une des journaux attestent des énoncés sans verbe, des phrases nominales. Cette absence de verbes, qui permet de désigner ces titres de phrases nominales, est par elle-même signifiante, comme le soulignent Jamet et Jeannet: « ces phrases nominales semblent constituer des énoncés d’état. Ils disent l’état du monde. L’absence de verbe anachronise l’énoncé. Ils suppriment la distance temporelle entre l’événement et le journal (et le lecteur) » 156 . Ainsi, c’est parce qu’il n’y a jamais de temps qu’il n’y a pas de verbe.
Le deuxième groupe de termes se retrouve dans les Unes qui traitent de l’action diplomatique de la France avec les Accords de Marcoussis. Il s’agit de titres informatifs à propos de l’annonce des négociations de Paris « La France convoque les partis ivoiriens à Paris » Le Monde, « Côte d’Ivoire. Le palabre de Paris » Libération. Cette annonce des négociations se présente dans Le Monde sous la forme d’une obligation mise en relief par l’emploi d’un verbe d’action dans le titre « convoque ». Le recours au verbe « convoquer » semble établir un rapport d’autorité voire une certaine hégémonie de la France sur les acteurs ivoiriens du conflit. Ce rapport qui peut s’interpréter comme une sorte de soumission des partis ivoiriens vis-à-vis de la France semble rappeler les liens qui unissent la France et ses ex-colonies voire entre la patrie-mère et ses colonies. Contrairement au Monde dont le titrage met en relief les rapports entre la France et la Côte d’Ivoire, l’annonce des négociations de Marcoussis se présente dans Libération dans un titre constitué d’un groupe nominal qui s’articule sur deux mots. Il y a d’abord l’indication du lieu « Paris » et qui est accompagné du terme « palabre ».
En effet, là où le quotidien Le Monde utilise le nom de France pour indiquer le lieu des négociations, Libération utilise un procédé métonymique «la partie pour le tout », ici la capitale pour désigner le pays. L’emploi du terme « palabre » semble jouer sur les facultés culturelles du lecteur. Le titre qui compose cette Une utilise des références culturelles non explicitées dans la mesure où le recours au terme de « palabre » pour signifier les négociations de Paris, trouve son ancrage culturel dans l’expression « l’arbre à palabres ». En fait le concept de « palabre » a une signification spécifique dans les sociétés africaines. En tant que cadre d'organisation de débats contradictoires, d'expression d'avis, de conseils, de déploiement de mécanismes divers de dissuasion et d'arbitrage, la palabre, tout au long des siècles, est apparue comme le cadre idoine de résolution des conflits en Afrique. La palabre, incontestablement, constitue une donnée fondamentale des sociétés africaines et l'expression la plus évidente de la vitalité d'une culture de la paix. Ainsi au cours de la palabre, les « faiseurs de paix » présentent les parties en conflit et les amènent à s'expliquer. La palabre n'a pas pour finalité d'établir les torts respectifs des parties en conflit ni de prononcer des sentences qui conduisent à l'exclusion et au rejet. La palabre apparaît plutôt comme une « logothérapie » qui a pour but de briser le cercle infernal de la violence et de la contre-violence afin de rétablir l'harmonie et la paix. Il y a donc dans le titrage de Libération comme une volonté d’élaborer une grille de lecture des négociations de Paris à travers le prisme de la culture africaine. Avec l’expression de « l’arbre à palabre » peut se lire, à travers les événements de la guerre ivoirienne, une représentation de l’identité et de la culture africaine, puisque « l’arbre à palabre » représente dans la société africaine une véritable institution.
Le lieu où se tient « l’arbre à palabre » ayant toujours un lien avec l’histoire notamment la création du village ou ses membres fondateurs, lui donne toute sa consistance symbolique et révèle l’importance des décisions qui seront prises. Dans le cas de Libération, le terme de « palabre » joue sur cette portée symbolique de la culture africaine mais en le mettant en rapport avec les liens historiques que caractérisent la France et la Côte d’Ivoire.
Par ailleurs, à ces deux Unes traitant de l’annonce des négociations de Paris, vont succéder deux autres dans lesquelles, il s’agit des décisions prises lors de ces négociations et leur impact dans le déroulement de la guerre. « Côte d’Ivoire : accords à Paris, affrontement sur le terrain » (« Le Monde 25 janvier 2003 »), « Côte d’Ivoire. La France en otage » (« Libération 27 janvier 2003 »). La construction lexicale et syntaxique du titre de la Une du Monde montre la disparité entre deux situations différentes sur le même événement. En effet, s’il y a un accord de paix entre les différents protagonistes de la crise ivoirienne à Paris, contrairement à la logique qui voudrait que cet accord soit suivi d’une accalmie, les affrontements se poursuivent dans l’espace de la guerre. Le contraste est mis en relief par une opposition binaire entre les faits « accords »vs« affrontements » et les lieux inhérents à ces faits « Paris »vs« terrain ». Cette contradiction que soulignent les termes du titre de la Une est d’ailleurs renforcée par sa construction syntaxique sous forme d’apposition puisque les expressions « accords à Paris » et « affrontements sur le terrain » sont séparées par une virgule.
Cette même contradiction se retrouve dans la Une de Libération de la même période « Côte d’ivoire. La France en otage ». L’accent est mis ici sur le terme « otage » et, contrairement au Monde qui a opté pour un titre explicatif, le titre de Libération est lapidaire et, tout en cherchant à éveiller l’intérêt du lecteur pour le sujet, formule l’implicite qui entoure le terme « otage », en l’occurrence l’impuissance d’agir. L’implicite que semble véhiculer le titre est accompagné d’une observation du terrain puisque le titre lapidaire est renforcé par un sous-titre de la Une qui évoque l’attaque d’« intérêts français à Abidjan par des milliers de partisans du président Gbagbo ». Cette impression que la France est prise en « otage » sur le terrain par des accords qu’elle a supervisés, se retrouve dans une autre Une « Côte d’Ivoire. La France dans le piège » (« Libération 3 janvier 2003 »). Ainsi au terme « otage » se substitue celui de « piège », puisque ces deux Unes ont la même construction syntaxique et ne diffèrent que par ces deux mots. Cette différence génère un autre sens sur les auteurs et les cibles de la prise d’ « otage » ou du « piège ».
Si dans la première Une « La France en otage », se sont les partisans de Gbagbo qui s’en prennent aux lieux emblématiques de la France en Côte d’Ivoire « ambassade, écoles et lycées », dans la seconde Une (« Côte d’Ivoire. La France dans le piège »), c’est, comme le souligne le sous-titre, son armée qui se trouve « coincée entre rebelles et loyalistes ». La différence fondamentale entre ces deux termes (« otage » vs « piège ») est celle d’une évolution du conflit qui passe d’une violence physique à une violence symbolique. Cette différence réside dans le fait que tout en illustrant la mauvaise posture à la fois diplomatique et militaire de la France dans le conflit, elle dévoile un changement des acteurs, de lieu et de domaine. A la mauvaise posture des troupes françaises sur le terrain « coincées » entre « rebelles, loyalistes » semble se substituer la situation dans laquelle, les lieux emblématiques de la France vont subir la furie des « partisans de Gbagbo » Une telle substitution entraîne également une évolution qui passe de la scène militaire vers la scène civile, du terrain militaire des opérations guerre à celui de l’espace urbain.
Enfin, le troisième groupe de mots qu’on retrouve dans les Unes des quotidiens, traite de manière alternée des deux présidents Chirac et Gbagbo dans leur rapport voire leur rôle dans le conflit. La Une du Monde est consacrée aux rapports entre le président ivoirien et les auteurs des exactions meurtrières pendant les semaines qui ont suivi le déclenchement de la guerre « Les escadrons de la mort de Gbagbo » (« Le Monde 8 février 2003 ») alors que Libération traite des enjeux diplomatiques de la politique étrangère de la France qui obligent Chirac à devoir jouer sur deux tableaux : d’un côté, ses prises de positions fermes pour la poursuite de la mission des inspecteurs de l’ONU en Irak, de l’autre, l’enlisement de la France en Côte d’ivoire. « Irak-Côte d’Ivoire. Chirac peut-il tenir ? » (« Libération 5 février 2003 »).
Ce sont les enjeux et la crédibilité de la diplomatie française, qui expliquent le recours à la tournure interrogative « peut-il tenir ? » comme une façon de suggérer la nécessité d’un équilibre pour deux événements qui n’ont pas la même nature et ne se situent pas dans la même aire géographique. Dans la Une du Monde, le titre fait référence à l’accusation qui porte sur le président Gbagbo à qui l’on accuse d’être de connivence avec les auteurs des « escadrons de la mort ». Le titre du journal Le Monde apparaît comme la caractéristique d’une évolution du conflit qui passe d’une violence collective à une violence ciblée et restreinte sous forme de règlement de comptes aux allures macabres « enlèvements d’opposants, assassinats, exactions, massacres, charniers ». Cette violence ciblée s’exerce sur des acteurs ayant une certaine influence politique, ainsi d’une situation de conflit généralisé, la lutte pour le pouvoir ou sa conservation contribue à l’exacerbation de la violence qui a de plus en plus des motifs politiques. Ainsi les desseins politiques pour lesquels l’autre, l’opposant formule, demeure un obstacle servant ici de prétexte à la violence. D’ailleurs cette accusation qui porte sur le président ivoirien se laisse deviner dans la construction syntaxique de la Une sous forme de complément d’attribution « les escadrons de la mort de Gbagbo ». Ce caractère attributif rend le président Laurent Gbagbo responsable des enlèvements et des assassinats.
En définitive, l’étude du discours de la Une sur la crise ivoirienne nous a permis de dégager certaines similitudes. C’est le cas des thèmes de la nature de l’événement du 19 septembre 2002 et de l’action diplomatique de la France autour des accords de Marcoussis et que l’on retrouve aussi bien dans Le Monde que dans Libération. Ces deux périodes du conflit qui ont à elles seules fait, l’objet de sept Unes sur neuf, révèlent deux catégories de mots semblables dans Le Monde et dans Libération. La seule différence thématique que l’on note se retrouve dans les Unes du mois de février 2003 pour lesquelles les journaux traitent des postures inconfortables de Chirac et de Gbagbo. De même s’il y a, en général, une similitude thématique au niveau des Unes de septembre 2002 à janvier 2003, on retrouve aussi une autre similitude dans leur construction syntaxique. Nous notons en général, la faiblesse du recours à la construction verbale dans les Unes des deux quotidiens. En effet, pour cinq Unes de Libération, nous n’avons relevé qu’un seul titre contenant un verbe à la tournure interrogative, également dans Le Monde, sur quatre Unes, l’emploi d’une forme verbale se retrouve dans un seul titre, celui du 6 janvier « La France convoque… »
Par ailleurs, Le Monde opte pour des titres assez longs que l’on peut expliquer par une nécessité explicative de l’information. Cette nécessité explicative révèle une autre particularité des titres du journal Le Monde qui consiste à organiser l’information autour de deux parties situées de chaque côté de la ponctuation de deux points. Contrairement au Monde, Libération semble opter pour des titres lapidaires, très condensés. Cette condensation des titres de la Une explique que ces titres soient souvent suivis de sous-titres qui apportent un surcroît d’information à la Une.
Enfin, le langage des titres de la Une joue sur plusieurs registres, la crainte, la peur, le rejet, la haine, le négatif. Cependant, nous notons que le langage des titres de Libération porte plus d’emphase que celui des titres du Monde. C’est le cas précisément des titres de la Une de Libération qui contiennent les termes comme « otage » et « piège », au regard de l’imaginaire que véhicule ces mots, alors que la charge affective de la seule Une du Monde relative aux escadrons de la mort, relève plutôt du rejet comme forme de dénonciation.
JAMET (Claude) JANNET (Anne-Marie), La mise en scène de l’information. op. cit., p. 256
Ibid., p. 257
MOUILLAUD (Maurice), (1990), « Le journal, un texte sous tension » In Signe-texte-image (sous la dir.) d’Alain Montandon, CESURA, Lyon Editions, p.147
JAMET (Claude), JANNET (Anne-Marie), La mise en scène de l’information, op. cit., p. 33
Ibid., p. 33
JAMET (Claude) JANNET (Anne-Marie), La mise en scène de l’information. op. cit., p. 210