Nous avons coutume de donner à l’écrit du pouvoir, de considérer que l’élément scriptural, transcription de notre langage, en lui accordant du crédit et de la valeur. Pierre Bourdieu remarquait à ce propos dans Ce que parler veut dire 224 la force du discours en tant qu’instrument de communication et essentiellement de pouvoir. Et pour cause, il y a lieu d’affirmer que des civilisations entières sont sous l’emprise de l’image ; on a maintes fois parlé de la naissance, au XX è siècle d’une « civilisation de l’image » 225 . Aujourd’hui on est frappé par l’importance sociale prise par les images, par leur multiplication apparemment infinie, par leur circulation de plus en plus intense, par leur prégnance idéologique, bref, par leur pouvoir dans la mesure où, de plus, elles déterminent l’idée voire plus exactement la représentation que nous nous faisons du monde.
Ces images, qui prennent dans notre vie quotidienne une place si envahissante que leur flux ne semble plus endigable, empruntent pour arriver jusqu’à nous des vecteurs multiples parmi lesquels la photographie et le dessin de presse occupent une place de choix.
A la différence des autres modes de figuration –qui gardent la trace trop manifeste de l’intervention créatrice, la photographie en disposant d’un pouvoir exceptionnel d’attestation, paraît refléter son objet dans la plus innocente et objective immédiateté. Elle fonctionne comme une véritable pièce à conviction. Garante de véracité, elle atteste à la fois la présence de son objet et la justesse du reflet qui en est donné. Avec l’essor du photojournalisme, la photo occupe une place prépondérante dans les représentations contemporaines qui y sont associées notamment celles des états de violence.
De plus, la presse ne véhicule pas que des photos : elle accueille aussi des dessins, souvent humoristiques quand ce ne sont pas des caricatures.
La caricature, qui permet, avec la connivence du lecteur, une communication fondée sur les allusions, arrache les masques et donne à voir ce qui est occulté ou passé inaperçu de prime abord. Le caricaturiste tire son sens d’un élément ponctuel pour en faire une proposition de lecture; son œuvre n’est pas toujours l’illustration d’un événement, mais sa fictionnalisation et sa concision donne une redoutable efficacité. Ainsi sommes-nous invités, au-delà du rire et par le rire à examiner la représentation des acteurs politiques et diplomatiques de la guerre en Côte d’Ivoire telle que les images la donnent à voir dans une mise en scène percutante, souvent plus efficace qu’un long discours.
BOURDIEU (Pierre), (1982), Ce que parler veut dire, Paris, Fayard.
Expression empruntée au titre du livre d’Enrico Fulchignoni paru chez Payot en 1969.