1-2 La représentation photographique des acteurs politiques.

La représentation photographique des acteurs politiques est une constante que l’on retrouve dans Le Monde et Libération durant leur traitement de la crise ivoirienne. Elle montre les acteurs politiques ivoiriens et les acteurs politiques français. Si la représentation photographique des acteurs politiques ivoiriens s’effectue tout au long de la durée du conflit, celle des hommes politiques français, se retrouve beaucoup plus au mois de janvier 2003, une période qui correspond avec la médiation française.

Les personnages politiques les plus représentés dans les deux journaux sont, le président ivoirien, Laurent Gbagbo, et le ministre français des affaires étrangères français, Dominique de Villepin, avec respectivement, dix photographies pour le premier et huit pour le second. La différence entre les journaux dans de la taille de l’image car dans le journal Le Monde, s’il y a des images d’hommes politiques, les photographies qui les représentent sont souvent des photos d’identité qui servent seulement à illustrer leurs interviews, contrairement à Libérationdans lequel les images les montrent en entier.

Ces photos illustrent le rôle du politique dans la guerre car « les conflits et les obstacles ont dans le champ politique, une dimension proprement fondatrice : sans conflits et sans tensions, il n’est pas de politique, car c’est dans les conflits et les tensions que les acteurs politiques font pleinement l’expérience de l’importance de leurs pouvoirs, des limites de leur intervention et de l’étendue de la reconnaissance dont ils font l’objet de la part des autres acteurs de la sociabilité. » ²³⁹

Dans Le Monde, sur les quatre photographies du président ivoirien Laurent Gbagbo, deux ont la taille et le format d’une photo d’identité servant à illustrer des interviews sur les causes du conflit et les moyens de sa résolution. Il faut attendre le mois de février 2003, notamment au lendemain des accords de Marcoussis et des remous qu’ils ont suscités au sein de la population, pour retrouver dans le journal des photographies montrant le président ivoirien dans un décor précis. (voir p.246)

Le président ivoirien est toujours représenté dans une posture qui implique l’usage de la parole et du discours comme une façon de rassurer ses partisans. Chronologiquement, les deux photographies prises à trois jours d’intervalle, présentent les mêmes caractéristiques. Celle du 1er février 2003 (voir p.246), montre le chef de l’Etat ivoirien en conférence de presse, assis derrière une table sur laquelle on voit des micros. Ce qui se donne à voir dans cette image, c’est l’apparente sérénité du président, qui malgré une situation de guerre qui a entraîné le morcellement de pays, arbore un sourire et lève les bras en l’air comme pour esquisser le signe de la victoire. Seule la lecture de la légende permet au spectateur de comprendre qu’il avait en face de lui, « les jeunes patriotes », qu’il a reçus au lendemain des manifestations et les émeutes contre les lieux symboliques de la France à Abidjan.

La photographie de Luc Gnago du 4 février 2003, montre dans un plan rapproché, le président Laurent Gbagbo souriant, en compagnie de Dominique de Villepin. Toutefois, dans cette image, la main pacifique du chef de l’Etat ivoirien située à hauteur du visage en gros plan d’un de ses gardes du corps, dénote une certaine ambivalence de l’image. En effet, au visage serein et souriant du président Laurent Gbagbo, contraste avec celui très fermé du garde du corps. (voir p.246)

Contrairement au quotidien Le Monde dans lequel les traits qui résument l’image du président ivoirien sont la sérénité et la joie, les deux photographies du président Laurent Gbagbo publiées par Libération, ont une signification inverse.

Le 21 novembre 2002, soit deux mois après la tentative de putsch, le quotidien publie une photographie de Issouf Sanogo, dans laquelle est visible en très gros plan le président Laurent Gbagbo. Une telle focalisation sur le visage du président, montre un homme aux traits tirés qui donnent une impression d’abattement à la fois physique et moral.(voir p.246)

C’est ce qui semble se lire sur ce regard absent qui fixe le vide. On retrouve d’ailleurs, ces mêmes aspects visuels dans une photographie de Issouf Sanogo, publiée par Libération le 3 mars 2003 (voir p.246). Il s’agit ici d’un plan moyen sur Laurent Gbagbo devant des micros, la main levée à hauteur de la tête, en train de s’éponger le front avec un mouchoir.

Dans cette photographie, la transpiration du président Laurent Gbagbo exprime la peine, l’émotion voire l’étouffement.

A côté, de la représentation photographique des acteurs politiques ivoiriens, il y a aussi celle des français, parmi laquelle figure au premier rang, celle du ministre des affaires étrangères au regard du rôle qu’il a joué pendant le conflit, notamment dans la préparation des accords de Marcoussis. C’est dans ce cadre que s’inscrit d’ailleurs la photographie de Issouf Sanogo, prise le 6 janvier 2003, deux semaines avant les négociations de Marcoussis. Cette photographie montre en plan rapproché la poignée de mains entre Dominique De Villepin et Guillaume Soro, le chef rebelle du mouvement patriotique de la Côte d’Ivoire (MPCI). Si les personnages sont pris de profil, ce que perçoit en premier le spectateur dans cette image, c’est le poing gauche fermé qui accompagne la poignée de main de Villepin comme pour témoigner son engagement pour résoudre le conflit (voir p.246).

La poignée de main se retrouve aussi dans Le Monde, dans une photographie du 17 janvier 2003 qui met en scène les accords de Marcoussis. Ici le ministre des affaires étrangères Dominique De Villepin et le président Laurent Gbagbo, se serrent la main devant le président Jacques Chirac lors de l’ouverture des négociations. Contrairement à la scène de la poignée de mains avec Guillaume Soro, qui était accompagnée d’un poing fermé du ministre français, dans celle-ci, la main du ministre est placée à hauteur de l’épaule du président ivoirien, pour exprimer d’une convivialité entre les deux hommes.

Qu’il s’agisse des acteurs politiques ivoiriens ou des acteurs politiques français, la représentation photographique dans les deux quotidiens, au regard de la façon dont les photographies les donnent à voir, peut être apparentée au portrait. Selon Barthes, la photo-portrait est un champ clos de force : « quatre imaginaires s’y croisent, s’y affrontent, s’y déforment. Devant l’objectif, je suis à la fois celui que je me croie, celui que je voudrais qu’on me croie, celui que le photographe me croit, et celui dont il sert pour exhiber son art. » ²⁴⁰

En effet, la représentation photographique entend donner une information sur la personnalité de ces acteurs saisis dans une situation et à un moment où leur identité propre s’exprime le mieux. Cette corrélation entre l’identité des acteurs politiques et l’information donnée sur eux, telle qu’elle est représentée à travers les images, est mise en évidence par des attitudes et des aspects physiques (sourire, poignée de mains, transpiration etc.…) porteurs de sens. Cette représentation photographique en montrant les acteurs en fonction de la position et du geste s’apparente au portait puisque à travers l’acteur politique photographié, le spectateur procède à une identification, une mise en corrélation de l’image dénotée (la copie du personnage) et de l’image connotée (ce que l’on croit savoir du personnage, ce qu’on pense ou ce que l’image suggère).