Pour conclure

La représentation photographique, de quelque nature qu’elle soit, permet de distinguer les différents rapports qu’une image peut entretenir avec le réel et permet de mieux identifier le sens possible des photographies dans la relation entre le type de photographie et le spectateur. La signification de la photographie articule le point de vue du photographe et de celui du spectateur. Dans cette perspective, on pourrait parler d’une typologie des genres photographiques, qui requièrent diverses situations de lecture. Il apparaît alors une flexibilisation des genres selon ce que la photographie représente, selon les usages qu’on fait d’elle et selon la médiatisation dont elle fait l’objet.

Disons-le nettement: la guerre est un phénomène plurifocal. Il n'existe pas une image juste de guerre. La guerre ne se montre pas. Elle s'approche par des vues diverses et complémentaires.

Le fil conducteur est celui du photojournalisme et de son développement : évolution des techniques de captation, de transmission et d’impression, création des grands magazines d’actualité, hégémonie de la photographie de presse comme du « ça a été » 273 , jusqu’au déclin du genre par l’introduction déterminante d’un nouveau média, la télévision.

Ainsi, l’analyse de la représentation photographique de la crise ivoirienne permet de montrer les spécificités de la photo de guerre par rapport aux autres photos d’actualité dans les médias. La photographie représentant la guerre essaie de refléter la réalité directement ; en ce sens, elle amène le spectateur à considérer que ce qu’il regarde est la réalité, sans pour autant donner une parfaite visibilité d’un phénomène aussi complexe que la guerre. Il en ressort des lors, une sorte de « brouillard des images ». Dans la photographie de guerre, ce qui domine, c’est que la guerre n’échappe pas à la représentation. Sujet antique de création plastique, elle reste une construction, avec ses règles capables de générer de l’icône, du mythe et ce, quelle que soit la modernité du support technique utilisé. En même temps, -et cela peut paraître contradictoire- on constate que la guerre ne se voit pas, qu’elle s’évanouit, qu’elle s’absente du cadre. Quelle serait la photographie de la guerre ? Il semble qu’il n’y en ait pas de possible et que la photographie, impuissante à montrer l’épopée, en soit réduite à butiner de l’instant, de l’attente, du détail, de la bribe, du non-événement, de l’état de guerre. Pas davantage. Ce que l’on voit, ce sont des ruines, des traces, des cadavres.

Le contraire d’une histoire des batailles. On peut donc dire que cette visualisation de la guerre se présente d’abord comme un manifeste de non-restitution, de non-représentativité. Si en effet, la photographie acquiert une efficacité implacable qui lui vient de sa capacité à creuser la temporalité pour celui qui la regarde, de sa fixité et donc de son rapport inaltérable au sujet choisi, elle est trop proche de la réalité de la guerre qu’elle présente avec simplicité et brutalité comme une affaire individuelle. Elle donne à ses contemporains l’impression qu’elle traite la guerre sans profondeur de champ. Son absence de vision est aussi une incapacité à proposer un champ de signification cohérent et mobilisateur qui est le propre de la pensée de la guerre sur le mode épique.

Par conséquent la photographie de guerre diffère des autres photographies d’actualité, dans la mesure où, de par sa fonction informative, elle essaie de transmettre une vision d’un certain événement, toujours en établissant une tension entre le réel de la guerre dont il est question et le point de vue du photographe.

Contrairement à la photographie de guerre, les autres photos d’actualité sont souvent mises en scène ; le photographe n’apporte pas seulement un point de vue sur le réel qu’il observe mais il participe à la disposition des éléments qui composent la scène : il dirige la pose du modèle (dans le portrait), il organise l’espace selon la place que chaque objet occupe. Tandis que dans la photographie de la guerre, on est dans la logique de la distance sensible (la douleur, la violence), dans les autres photos d’actualité, la représentation photographique se situe dans une logique de la proximité.

L’analyse de la représentation photographique de la guerre ivoirienne confrontée à d’autres images de conflits montre que chaque guerre engendre de nouvelles figurations ; par conséquent croiser les époques, des regards et des figurations pour tenter une rétrospective des représentations photographiques de la guerre depuis l’intervention de Crimée en 1855 jusqu’aux récents conflits, permet d’examiner l’évolution des grandes étapes visuelles de l’histoire des conflits. De conflit en conflit, de nouveaux modes de représentations de la guerre apparaissent comme autant d’étapes visuelles. La guerre de Sécession voit déferler les cadavres ; celle de 1918 montre la chair mutilée des blessés, des « gueules cassées ». La guerre d’Espagne, celle du Vietnam consacrent le mythe du photojournaliste, physiquement engagé, courant au plus près des combattants, risquant sa peau, à l’inverse de ce qui se produira bien plus tard, avec un conflit organisé, verrouillé comme la guerre du Golfe, les Malouines où le reporter est tenu à distance du théâtre des opérations. Camps de déportation et d’extermination, Oradour, Hiroshima : la Seconde Guerre mondiale s’attaque à l’inmontrable.

Cependant, il existe entre ces différents conflits, des différences dans la représentation des figures de la guerre. La guerre de Crimée demeure le premier grand conflit couvert par la photographie. Toutefois, durant la représentation photographique de ce conflit, le terrain des opérations avec ses morts et des dévastations est négligé au profit de portraits d’officiers et de vue de campements. Par conséquent, la représentation photographique se refuse à enregistrer la souffrance des blessés et la mort qui hante les champs de batailles. L’image de la guerre telle qu’elle est présentée par les photoreporters n’évolue guère jusqu’à la Première Guerre mondiale incluse : absent des combats, le photographe concentre son témoignage sur « l’après-bataille » et montre des images de prisonniers, de victimes et de sites dévastés.

Entre 1914 et 1918, la presse illustrée, -Le Miroir, L’Illustration, Excelsior- se montre aussi friande de témoignages, de comptes rendus, de lettres et de journaux intimes de poilus que de photos officielles ou d’amateurs.

Par ailleurs, et pour l’essentiel, rares sont les clichés trop impressionnants risquant de porter atteinte au moral des troupes et de l’arrière ; la censure et la propagande privilégient les documents rassurants, qui montrent la vie quotidienne des soldats en dehors des combats : les popotes, les parties de carte, les campements, les marches, les armements… Si les journaux de guerre illustrés durant la Première Guerre mondiale avaient pour consigne de ne pas montrer de soldats morts, en revanche, ils se devaient de montrer des combattants. Mais comment figurer des combats sans donner à voir ses propres soldats morts ? En préférant la peinture à la photographie des combats.

Dans ce type de représentation, la valeur d’information est pratiquement absente ; la représentation de la guerre est avant tout mise au service de la valeur héroïque, du mythe et des valeurs que le genre épique attribuait au héros : la victoire, la paix, l’immortalité, le triomphe. Cette humanisation de la guerre se trouve également renforcée par l’impression de familiarité suscitée chez le lecteur par la régularité de l’information sur la guerre et avec ceux qui la font. A cette ancienne perception photographique de la guerre, succèdera une nouvelle, qui attribue un rôle et une place différentes à la photographie dans le reportage de guerre. En créant son propre discours, la photographie va accompagner et renforcer la nouvelle relation qu’entretiennent l’individu et la collectivité avec la guerre et avec la mort dans les sociétés occidentales où, cette fois, ce sont l’individu, la perte et la victime qui sont héroïsés.

La Seconde Guerre mondiale marque, de ce point de vue, une étape décisive : à côté de ce qui constitue l’ordinaire de la guerre, on commence à montrer les morts, les blessés et leurs souffrances. Par son traitement singulier des horreurs et des brutalités de la guerre, la photographie s’élève à une position esthétique et morale face à l’objet de la guerre.

Elle peut certes servir à exalter les valeurs de la nation, du groupe ou du chef, mais sa prédisposition au tragique et au pathétique non héroïque dit le prix humain de la guerre. Cette représentation photographique de la guerre qui évolue de l’héroïsation du conflit à la perte de l’héroïsation et à la perte du sens, est celle d’une situation complexe dans laquelle la mort est partie prenante et inscrite aux quatre extrémités, que les images prolifèrent. Il s’agirait par conséquent d’une espèce d’articulation entre la transfiguration abstraite de la guerre et le territoire de l’absurde.

Ce rapport inévitable à la finitude et à la mort corrobore l’assertion d’Hélène Puiseux : « Dans les ensembles d’images, épiques ou pathétiques, stéréotypés ou neufs, confus ou péremptoires, la guerre est de plus en plus construite pour ce qu’elle est, une situation tendue à l’extrême entre la vie et la mort. » 274

Par ailleurs, la représentation photographique de la crise ivoirienne nous a permis de voir la conformité ou non conformité des photos contemporaines de la guerre par rapport aux traditions et à la culture historique de la photo de guerre.

Par sa fixité et sa valeur de temps inscrit, la représentation photographique de la guerre contribue à désagréger la notion de groupe alors dominante en peinture au profit de l’individu et à établir un rapport sensible à la vie et à la mort dégagées de l’atemporalité.

Les médias, rappelle Patrick Charaudeau 275 , véhiculent un imaginaire et des représentations sociales ancrées dans les mémoires, usent et abusent d’analogies. Ils ont également un besoin constant de scénariser les conflits, de personnaliser les belligérants, de jouer sur les sentiments. Et sans cesse, se dégage de la représentation photographique de la guerre, une impression que de conflit en conflit, d’affrontement en affrontement, tout se répète, à des décennies de distance. La répétition participe de la pédagogie, dire et redire la guerre avec la même image a pour objectif de les incruster dans nos mémoires pour construire une conscience imaginaire de l’événement. En ce sens, l’on comprend mieux l’assertion de Monique Sicard quand elle soutient que : « les figures de références hantent nos images d’actualité comme un abécédaire qui se déclinerait, toujours semblable, d’un conflit à l’autre. La madone et son enfant mort, le combattant fauché en plein vol, le soldat pleurant son camarade, l’enfant fuyant les combat, la famille de réfugiés (…) constituent désormais notre magasin illustre de la guerre. L’album de référence puiserait ses types dans la guerre d’Espagne, celle du Vietnam, les conflits du Cambodge ou du Liban. » 276

Temps morne aussi pour les guerres civiles, des déchirements de factions dans les pays déstructurés. Alors, on est toujours à l’année zéro. Les images se télescopent. Ce qu’on a vu hier, ailleurs, ressemble à ce qu’on voit aujourd’hui et là : toujours une juxtaposition des mêmes réfugiés hagards qui fuient le long des routes et des mêmes groupes de soldats armés jusqu’aux dents ; toujours les mêmes ruines, les mêmes routes défoncées ; les mêmes convois humanitaires, les mêmes errances. Quelles dates ? On a toujours déjà vu ces images. Année zéro interminablement : le temps s’est arrêté.

Le désastre est monotone. Les états de violences sont confus : ni guerre ni paix, ni victoire décisive ni défaite finale possibles, mais un marasme continu, avec des changements de rôles.

Selon Anne Beyaert-Geslin, la photographie de presse ressasse toujours les mêmes motifs qu’elle emprunte aux genres majeurs de la peinture et du portrait. En ce sens, outre le fait qu’ils ont une fonction d’emphase et de mémorisation, ils contribuent à la lisibilité de l’événement et agissent tel des « convertisseurs de croyances » 277 qui permettent d’y croire. Ainsi, comment ne pas être troublé par les stupéfiantes analogies entre le travail de Sophie Ritelhueber sur l'empreinte de la guerre du Golfe et les traces déjà à l'oeuvre dans les images qui ont documenté, dès 1855, la guerre Crimée ? Comment, de même, ne pas rapprocher le déclenchement d’une sensibilisation de l’opinion lors de la Première Guerre mondiale et le conflit du Kosovo, dès que les réfugiés sont lancés sur les routes ? Ces images se répètent, les médias déplaçant les figures selon les lieux et les événements qui se trouvent alors sous les feux de l’actualité. Le regard ne se heurte pas à la contradiction, à l’ambivalence. Au contraire, il glisse sans s’arrêter, et passe à la suivante. La photographie de guerre devait en principe surprendre, montrer l’inhabituel, mais paradoxalement, elle se répète et doit être facilement reconnaissable. L’image n’est pas neuve, mais s’inscrit dans une histoire du visuel qui a ses modèles, ses photographies emblématiques, telle la « madone algérienne ». Cette image du photographe Hocine dévoilant une scène extrêmement tragique, une mère pleurant son fils, est ainsi devenue photo culte. Cette femme en pleurs incarne toutes les femmes victimes des conflits, sa souffrance visible, le symbole des peines que la guerre amène. Il est certain qu’elle marque encore de son influence la production d’image de presse.

L’image qui est véritablement inhabituelle sort du lot, c’est-à-dire du lot des photos qui se renvoient les unes aux autres. Et pour cela, elle interroge, car justement, on ne la reconnaît. C’est pour cela que Martine Joly affirme que : « la photo de presse s’inscrit dans une rhétorique du paradoxe : elle surprend, mais se répète. Le motif se reproduit, identifiable mais différent. Chaque image de guerre tend ainsi vers une autre, de drame en drame, les photographies de la guerre du Vietnam fournissant le répertoire iconographique de toutes les autres pour entretenir le « bégaiement de l’histoire » 278 Puisque la photographie de presse se voue comme les genres majeurs de la peinture,aux drameshumains, il n’est guère étonnant qu’elle reproduise les motifs.

En Afghanistan, les photographes, explique, Michel Guerrin, étaient réduits par les militaires des deuxcôtés, talibans ou américains, « à photographier des « stéréotypes » de la guerre et de la souffrance. A savoir des photos primaires qui se répètent, par leur motif et par leurs formes, d'un conflit à l'autre; qui, sans mention de la date ou du lieu, seraient interchangeables; des images qui plutôt que d'informer ou de susciter une réflexion, renvoient le spectateur à des codes visuels qui renforcent ses convictions. » 279

Avec la question de l'attribution des valeurs, c'est encore une autre logique de distribution qui est en cause. Elle répond au parti pris du genre. En effet, les femmes et les enfants sont généralement préférés aux hommes, ou bien ceux-ci dans un tel état de délabrement physique que tout potentiel combatif, voire toute masculinité, leur est retiré. Plus loin que la connotation religieuse, on assiste à une mise en scène de la faiblesse, de la vulnérabilité et, de façon implicite, de la passivité face au destin dont les modèles sont féminins et enfantins. Ainsi, la représentation des victimes et la place centrale qui leur attribuée dans l'idéologie contemporaine oeuvrent à une mise en ordre des catégories et des valeurs de l'action, tout en renforçant les clichés modernes du genre.

En examinant de plus près la terrible récurrence des catastrophes humaines, on aperçoit en tout cas un paradoxe intéressant : dans son effort pour adhérer à l’urgence de l’événement, à l’inchoatif, le motif agit alors comme « un convertisseur aspectuel » 280 Il s’instaure par conséquent, ici, le rapport entre l’événement et la photographie de presse et qui tend à montrer que l’événement tel traverse nos images de presse suppose plutôt un mode itératif : il est ce qui survient mais appelle aussi d’autres événements avec lesquels il entre en résonance, la signification provenant de leurs apports mutuels. En ce sens, l’événement se produit dans une lignée. Une telle corrélation permet en tout en cas de souligner la connivence entre la répétition des événements et celle du cliché : « Dans le monde de l’image, explique Sontag, cela s’est passé et cela se passera éternellement de la même manière. » 281  

Plus tard, cet auteur reviendra sur cette terrible disposition de l’image « puisque les photos se font écho entre elles, il est inéluctable que les corps émaciés des prisonniers bosniaques d’Omarska (…) ravivent le souvenir des photographies prises dans les camps en 1945. » 282   Il faut donc mettre en rapport les drames du monde, toujours les mêmes et la dramaturgie elle-même récurrente du stéréotype. Toujours, étonnant, l’événement reste cependant prévisible de même que sa représentation est prévisible et s’accompagne dans le stéréotype.

Et puisque chaque nouveau récit de l’horreur vient résonner avec un récit antérieur, il n’y a peut-être lieu de s’étonner lorsqu’un photographe comme Gilles Saussier, raconte le désarroi de ses collègues qui, dans Koweit-City llibérée, regrettaient de n’avoir « pas une seule image de la guerre du Vietnam » 283

Malgré des enjeux politiques et militaires spécifiques, les photographies des différentes guerres véhiculent des thèmes récurrents. Le combat donne à voir le soldat en action. Il est sale, fréquemment pris dans des nuages de fumées ou des cloaques de boue. C’est essentiellement lui qui donne l’image type de la Première Guerre mondiale : soldats sur fond de barbelés et d’arbres déchiquetés. Le cadavre est le rappel ad nauseam de l’équation entre guerre et mort. Héros, guerrier, sauveur de la patrie, toute la charge culturelle qui construit la légitimité du soldat cesse avec l’apparition du cadavre.

Il ne gît alors qu’un « homo sapiens » dans sa plus totale animalité. De vivant, avant, le voilà charogne, maintenant. Les victimes civiles expriment la guerre totale. Prises dans le guêpier de la guerre, elles sont davantage montrées écrasées par la violence régnante que malmenées par l’ennemi. En fuite, parquées, entassées, elles sont brinquebalées d’un lieu à l’autre, d’une ruine à l’autre. Elles manifestent la mise en suspend de la normalité. Du reste, la représentation de la guerre ivoirienne révèle une des caractéristiques des guerres contemporaines, celle de l'importance de la victime civile. En effet, plus les civils sont visibles, moins les guerres sont montrées et, plus les victimes militaires sont retirées de la circulation des images. Il s'agit de l'expression d'un partage entre ceux pour qui la représentation est possible et vraisemblable, et ceux pour qui elle n'est pas admise, selon que les uns sont jugés inoffensifs, les autres, dangereux.

Montrer la guerre est difficile et délicat. Nous constatons dans le cadre de la photographie de guerre, une rupture dans la façon dont elle est représentée. Ainsi, la rhétorique de la souffrance, est-elle plus ou moins présente en fonction des époques et des conflits. Plus on avance dans le temps, plus la rhétorique de la souffrance est présente dans les photographies de guerre.

Le vingtième siècle a peut-être contenu les deux façons les plus radicalement opposées de figurer un conflit par la photographie. D’un côté, la représentation d’une guerre atroce et meurtrière dans laquelle nul n’était épargné, à l’instar de la guerre du Vietnam. De l’autre, la figuration d’une guerre spectaculaire et techniciste, ce fut le cas de la guerre du Golfe. Comme le souligne Rémy Rieffel, « les guerres modernes ont été transformées par les progrès technologiques qui ont bouleversé leur mise en œuvre, mais qui n’ont guère modifié le régime de croyance qui s’appuie toujours sur trois mondes différents : stratégiques, techniques, et symboliques. » 284

Le photojournalisme de guerre fait l’histoire des grandes valeurs et des grandes détresses. Cela est d’autant plus vrai que la photo a l’immense mérite de ne pas raconter d’histoires : « la pellicule chimique est muette, elle ne désigne pas du doigt les bons et les méchants, les nôtres et les autres, elle se contente d’enregistrer, point final, sans valeur militante ajoutée. Elle fait d’autant plus sens qu’elle ne parle pas. » 285

A cet égard, la photographie la guerre a du sens parce que nous y reconnaissons, même dans son éloignement, dans la distance et sa spécificité, un miroir de notre sociabilité. Si la représentation photographique de la guerre a un sens pour ceux qui la regardent, c'est doute qu'ils s'y retrouvent. Regarder et lire la représentation photographique de la guerre, c'est assister à une mise en scène de notre sociabilité, puisque c'est assister au déroulement de la sociabilité de nos semblables.

Notes
273.

L’expression est de Roland Barthes, longuement expliquée dans son essai sur la photographie, La Chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Cahiers du cinéma, Gallimard/ Seuil, 1980.

274.

PUISEUX (Hélène), Les figures de la guerre, op. cit., p.244

275.

CHARAUDEAU (Patrick), « Les médias dans le conflit yougoslave » In Mots n°47, juin 1996, pp. 151-154

276.

SICARD (Monique), « Images de guerre : l’impossible ailleurs. », In Communication et langages, n°131 Mars 2002, pp. 23-36.

277.

BEYAERT-GESLIN (Anne), « L’image ressassée. Photo de presse et photo d’art » in Communications et Langages, n°147, mars 2006, p. 119 

278.

DELEUZE (Gilles), (1991), Qu’est-ce que la philosophie, Paris, Gallimard, p. 309

279.

GUERRIN (Michel), Le Monde, 16 novembre 2001.

280.

BEYAERT-GESLIN (Anne), « L’image ressassée. Photo de presse et photos d’art », op. cit, p.123

281.

SONTAG (Susan), Sur la photographie, p. 197

282.

SONTAG (Susan), Devant la douleur des autres, op. cit., p.92

283.

SAUSSIER (Gilles), (2001), « Situation de reportage, actualité d’une alternative documentaire », in Communications n° 71, Paris, Seuil, pp. 308-309. Seule guerre amplement et librement photographiée et télévisée, la guerre du Vietnam marque l ‘apogée de la photographie-action. Elle a permis de constituer une sorte de catalogue iconographique, dans laquelle les photographes continuent de puiser.

284.

RIEFFEL (Rémy), (2005), Que sont les médias ? Paris, Editions Gallimard, p.126

285.

DEBRAY (Régis), Croire, voir, faire. op. cit., p. 136