2-1 La représentation caricaturale de l’action militaire

 

La représentation caricaturale de l’action militaire se retrouve dans « Le Monde » à la date du 11 octobre 2002 (voir p.300) sous le titre de la Une « Côte d’Ivoire : enquête sur une mystérieuse rébellion » et dans « Libération » dans la Une du 3 janvier 2003 « Côte d’Ivoire. La France dans le piège ». Si dans la caricature du journal « Le Monde », sont représentés les acteurs ivoiriens du conflit, notamment la rébellion opposée au président ivoirien Laurent Gbagbo, ce qui donne une interprétation de l’événement en fonction de sa dynamique interne, dans « Libération », l’accent est mis sur l’implication militaire de l’armée française comme une nouvelle dimension de la guerre.

Dans « Le Monde », pour illustrer le brouillard qui entoure la tentative de putsch du 19 septembre 2002, Plantu représente d’une part, le président ivoirien Laurent Gbagbo, l’air surpris, assis sur un fauteuil, tenant un coffre-fort entre les mains et à ses côtés le peuple tout aussi étonné, de la présence de l’autre côté opposé d’hommes armés de Kalachnikov. Cependant comme pour renforcer l’impression de confusion qui entoure les événements sur la tentative de coup d’Etat, les hommes armés dépeints comme représentant des mutins, se présentent sous une identité anonyme puisque qu’ils portent des cagoules.

Deux niveaux de lecture se dégagent dans cette caricature. La première signification qui se dégage de cette caricature, c’est d’abord l’impression de flou qui entoure l’identité des commanditaires de la tentative de putsch.

Cette confusion se reflète dans la caricature par cette présence d’hommes en cagoule que ne peuvent identifier ni le président Laurent Gbagbo ni le peuple, ce qui expliquerait d’ailleurs cet effet de surprise. Par ailleurs, la deuxième interprétation est celle d’une confrontation entre des protagonistes qui n’ont pas le même mode opératoire. En effet, là où les hommes en cagoule semblent faire de leurs armes un mode d’accession au pouvoir, en les pointant vers le président étonné d’une telle attitude, celui-ci semble leur proposer de l’argent, avec le coffre-fort qu’il tient entre ses mains.

En définitive, cette caricature semble orienter la compréhension de la tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002, à défaut de pouvoir identifier ces hommes en cagoule, vers une raison financière. Il apparaît en filigrane que la confusion qui règne autour de la tentative de coup de force, a incité le caricaturiste à voir ces événements comme une revendication ponctuelle d’ordre financier qui s’effectue ici par rapport au précédent coup d’Etat du 24 décembre 1999 dont les auteurs étaient d’anciens soldats ivoiriens de la mission des Nations unies pour la Centrafrique, qui ne réclamaient au début que le paiement de leurs indemnités.

Dessin de Plantu
Dessin de Plantu Le Monde 11 Octobre 2002 (p.300)

La caricature de « Libération » relative à l’action militaire « La France prise en otage » (« Libération 3 janvier 2003 ») (voir p.302), évoque l’implication de l’armée française dans le conflit comme force d’interposition entre forces loyalistes dans la partie sud du pays et rebelles dans la partie nord notamment à Bouaké. Pour montrer les risques qu’encourent les militaires français d’être pris en « piège », Willem le caricaturiste de « Libération » représente un soldat français assis à même le sol, avec à sa droite, un militaire symbolisant l’armée ivoirienne qui pointe une arme sur sa tête, également du côté gauche, un autre soldat, désigné comme étant un rebelle, pointe aussi une arme sur la tête du militaire français. Cette caricature met en évidence les effets collatéraux de l’implication militaire de l’armée française sur le théâtre des opérations. En effet, cette caricature en faisant référence à l’interposition militaire de la France entre des rebelles qui occupent le Nord et les forces loyalistes le Sud, semble montrer l’interprétation que pourraient faire ces protagonistes ivoiriens de la guerre, de la position française. Si au début, le conflit opposait des protagonistes exclusivement ivoiriens, le risque de « piège » qu’entraîne pour l’armée française son déploiement sur le terrain pour faire cesser les combats, semble suggérer que pour les protagonistes ivoiriens, l’adversaire a changé de statut et de nationalité.

Cette caricature donne une nouvelle dimension à la crise avec l’implication militaire française qui permet de passer d’une dynamique interne exclusivement ivoiro-ivoirien à un conflit franco-ivoirien dans lequel les précédents adversaires (rebelles/ forces loyalistes) s’en prennent à un « ennemi » commun en l’occurrence les troupes militaires françaises.

Le caricaturiste montre l’ambiguïté que pourrait susciter le déploiement militaire français en force d’interposition pour les acteurs ivoiriens de la guerre, puisque les rebelles pourraient le percevoir comme une manière d’arrêter leur progression et leur offensive vers la capitale Abidjan, par conséquent de soutenir les forces loyalistes et au-delà d’elles, le régime du président Laurent Gbagbo. Ces mêmes forces loyalistes pourraient interpréter ce déploiement comme un obstacle à la reconquête du Nord du pays, notamment la ville de Bouaké sous le contrôle de la rébellion, d’autant plus que cette interposition risquerait de geler les positions entraînant du même coup la bipartition définitive du pays.

Dessin de Willem
Dessin de Willem Libération 3 Janvier 2003 (p.302)

C’est d’ailleurs ce gel des positions entre une partie Nord du pays sous domination rebelle et une partie Sud encore sous le contrôle gouvernemental qui va marquer le statu quo dans le déroulement de la guerre avant d’aboutir à l’entrée en action de la diplomatie française. Clausewitz soulignait déjà que « l’action militaire est rarement, pour ne pas dire jamais aussi continue, et qu’il y a quantité de guerres où l’action occupe de loin la plus petite partie du temps, et l’inaction tout le reste. » 291

Notes
291.

CLAUSEWITZ (Carl Von), De la guerre, Les Editions de Minuit, Paris, 1955, p.61