2-2 La représentation caricaturale de l’action diplomatique

La représentation caricaturale de l’action diplomatique se retrouve dans les dessins du « Monde », durant le mois de janvier 2003. Cette période coïncide dans le déroulement du conflit ivoirien à un enlisement de la guerre à travers les combats entre les rebelles et forces loyalistes. La mise en scène caricaturale de l’action diplomatique révèle la prépondérance de représentations de personnages politiques notamment, le ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin et le président Chirac pour la France pour leur rôle dans la préparation et les négociations de Marcoussis et, du côté de la Côte d’Ivoire, le président Laurent Gbagbo. La première caricature a trait à la préparation des négociations de Marcoussis « La France convoque les partis ivoiriens à Paris » (« Le Monde 6 janvier 2003 » voir p.305). Sergueï, représente Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, avec tous les attributs du missionnaire (casque blanc de colon, chemise et culotte, bottes, la mallette) et les traits du visage très tirés, qui semblent exprimés une certaine anxiété voire la peur, dans la mesure où il semble entourer d’une boucle de feu, symbolisée par des armes crachant des flammes et dont on ne voit que les doigts des tireurs anonymes sur les gâchettes. A ses côtés, est représenté le personnage du président Laurent Gbagbo, la main droite sur l’épaule de Dominique de Villepin, signe d’une certaine convivialité et la main gauche tenant une machette comme pour se frayer une voie et disant « Suivez le guide ! ».

Cette caricature laisse apparaître la complicité entre le président ivoirien et ses partisans. En effet, si dans la caricature, la représentation de doigts de tireurs sur les gâchettes accorde un caractère anonyme à leurs auteurs, la seule présence de la machette tenue par Laurent Gbagbo, semble signifier les exactions meurtrières de ses partisans.

D’ailleurs, cette représentation du personnage du personnage de Laurent Gbagbo, semble dévoiler la contradiction qui le caractérise.

La contradiction s’illustre dans la représentation caricaturale par la « symbolique des mains », car à la main droite amicalement posé sur l’épaule de Villepin comme expression de la convivialité voire de la sérénité qui pourrait donner au personnage une allure sympathique, s’oppose la main gauche tenant une machette, symbole de pires horreurs.

En effet, la présence de la machette dans la caricature en fait la clé d’interprétation au regard de l’imaginaire funeste qu’il véhicule et suscite chez le lecteur certaines réminiscences de « boucherie humaine » du Rwanda. Le caricaturiste en établissant une sorte de métonymie entre le personnage et l’attribut (machette) qu’il tient dans sa main et dans laquelle l’image du personnage tend à s’effacer pour mieux mettre en évidence le répertoire symbolique (« massacres, tueries, exactions, décapitations etc.) de son attribut, convoque l’affectif du lecteur afin de susciter le dégoût, le rejet et par conséquent légitimer la dénonciation.

Par ailleurs, l’accent est mis plus sur la représentation de Laurent Gbagbo, personnage à travers lequel le caricaturiste donne à voir à la fois sa complicité avec les partisans « jeunes patriotes » mais aussi un stratège du double jeu manichéen où le discours conciliant et l’attitude diffèrent des actions qui s’en suivent. Cette contradiction du personnage et son double jeu, souligné par le Sergueï, se font en référence au mécontentement suscité par l’implication militaire de la France dans le conflit ivoirien puisque celle-ci est accusée par les partisans de Laurent Gbagbo de soutenir de rébellion. L’opposition à la France accusée de soutenir la rébellion a été d’ailleurs projetée sur le ministre des affaires étrangères Dominique de Villepin, qui fut la cible de manifestants devant la résidence du président Laurent Gbagbo à Abidjan, à l’issue d’une concertation en vue des accords de Marcoussis. Le ministre des affaires étrangères n’a pu quitter les lieux qu’avec l’intervention personnelle du président Gbagbo pour calmer la colère de ses partisans.

De même, dans la caricature, Sergueï semble jouer sur la couleur comme symbole ou expression et mode de construction sous-jacent du sens. Les deux personnages se caractérisent par la couleur blanche de leurs habits.

Cette blancheur qui pourrait symboliser la paix ou le pouvoir s’oppose au rouge de la boucle de feu dans laquelle ils sont plongés et dont la couleur exprime une situation infernale. Les propos de Gbagbo jouent sur l’ironie et l’humour qui, tout en laissant entrevoir la contradiction du personnage, peuvent susciter chez le lecteur la volonté de comprendre les raisons de l’opposition à la France à Abidjan.

Dessin de Serguei
Dessin de Serguei Le Monde 6 janvier 2003 (p.305)

Les paroles de Gbagbo en légende « suivez le guide ! » semblent celles-là mêmes qu’il aurait dû prononcer pour que le personnage soit vraiment conforme à l’idée qu’on se fait d’un « guide ». Celles de quelqu’un chargé d’orienter le peuple sur la bonne voie, ici la bonne voie étant celle de la paix et non pas à jouer un double jeu. Ce n’est pas le rire qui est suscité dans cette légende mais plutôt le sourire de connivence, un sourire de reconnaissance du lecteur « c’est bien cela », un sourire par le quel s’exprime un certain rapport à la vérité.

En définitive, cette caricature tout en dévoilant l’ambiguïté du personnage de Laurent Gbagbo soulève la question de la controverse sur l’engagement de la France militaire de la France en Côte d’Ivoire. Une attitude considérée par les « jeunes patriotes » comme partisane et en faveur de la rébellion. Cette impression de parti pris en faveur de la rébellion est renforcée par une autre caricature du 25 janvier 2003 (voir p.307) relative aux accords de Marcoussis, qui prônent la formation d’un gouvernement de réconciliation nationale auquel participerait la rébellion. Cette caricature représente en face-à-face deux personnages sous les traits de Jacques Chirac et Laurent Gbagbo, ce dernier disant à travers des propos plus affirmatifs qu’interrogatifs « alors, je vais devoir cohabiter ? » et Jacques Chirac de répondre « En effet, c’est très sympa, vous verrez ». La caricature de Pancho semble suggérer la formation de ce gouvernement de réconciliation nationale ouvert aux rebelles avec lesquels le chef de l’Etat ivoirien devra composer, comme une volonté de la France et que traduit la légende dialoguée entre les deux personnages. Cette nécessité de cohabitation traduite par l’expression « devoir cohabiter » de la légende lui donne son caractère obligatoire et préfigure ce qui pourrait apparaître déjà comme une future cohabitation difficile.

De même, les propos tenus par Jacques Chirac, permettent au caricaturiste d’évoquer de façon implicite, le thème de la cohabitation politique. Cela est d’autant plus vrai qu’à travers ces propos, le caricaturiste semble faire référence à la cohabitation droite/gauche entre Jacques Chirac et Lionel Jospin de 1997 à 2002. Ce qu’on lit à travers cette représentation caricaturale

de la scène diplomatique, ce ne sont point les traits grossiers des personnages qui pourraient porter au rire mais plutôt le contenu de leurs propos comme une grille de lecture des accords de Marcoussis.

De ce point de vue, Pancho projette à travers cette représentation de l’action diplomatique, une lumière plus vive que la parole écrite, sur le grouillement complexe et confus de la négociation au sein de l’opinion publique.

Dessin de Pancho
Dessin de Pancho Le Monde 25 Janvier 2003 (p.307)

Contrairement à ce clin d’œil du caricaturiste à la politique pour rendre compte de la nécessité des acteurs politiques ivoiriens, notamment le président Laurent Gbagbo, de trouver un consensus susceptible d’entériner la paix, la caricature de Willem « l’œil de Willem » du 6 février 2003 montre également face à face les présidents ivoiriens Laurent Gbagbo et français Jacques Chirac (voir p.309).

On y voit, le président ivoirien, Laurent Gbagbo, dans une posture de combat, les poings fermés à hauteur du visage, à l’image d’un boxeur et qui explique au président français Jacques Chirac, la signification d’une telle attitude « c’est un geste ivoirien qui exprime le respect et le consentement ». Ici, le décalage entre le propos pacifique de Laurent Gbagbo et son attitude martiale devant Jacques Chirac, permet ici au caricaturiste de mettre en évidence le double langage politique du président ivoirien. Un double langage que le spectateur perçoit de façon implicite à travers les négociations de Marcoussis, à l’issue desquelles, le président ivoirien, semblait donner son accord tout ayant un autre discours devant ses partisans. Cette expression du double langage chez le président, qui consiste à donner un accord verbal alors qu’à Abidjan, ses partisans rejettent les accords de Marcoussis, en se livrant à des émeutes, corrobore les propos de Jacques Chirac, qui bien qu’étant formulés à travers une modalité interrogative, « vous seriez pas en train de vous foutre de ma gueule ? », demeurent plutôt très affirmatif. Ce face-à-face entre les deux présidents, ressemble à jeu de dupes, dans lequel, l’un des protagonistes semble vouloir faire preuve de bonne foi à travers des propos qui sont en contradiction avec sa posture, alors l’autre, de façon ironique, lui fait savoir qu’il est moins naïf qu’il n’y paraît.