1. 2. 2. 2. Le recours à la médicalisation : l’intermédiaire magique ou la formation réactionnelle

Autour de la naissance, parfois avant, souvent lors de l’accouchement, dans les premiers mois de la vie, la prise en charge médicale est prégnante. Le médical sert d’intermédiaire entre les parents et l’enfant. Le choc émotionnel de l’annonce du handicap organise la référence constante au médical, comme point d’appui et recours, avec toute l’ambivalence que cette émotion peut faire naître. Chaque fois qu’un problème somatique sera perçu comme élément de souffrance par la famille, il ravivera l’angoisse de ce premier choc, avec l’exigence itérative d’une réponse immédiate. Ces traumatismes inscrivent des ruptures repérables dans l’instant présent de l’hospitalisation, mais aussi dans les déliaisons psychiques qui portent, à plus long terme, sur les différenciations dans la famille entière, dans des modes de relation syncrétique entre mère et enfant, excluant parfois le reste de la famille.

Cet extrait d’entretien exprime combien la psyché familiale est submergée parles vécus émotionnels lors de ces confrontations au médical : le traumatisme de la naissance est toujours présent, alors même que « le bébé » a 16 ans :

‘«  Quand il était petit, vers l’âge de six mois, on ne dormait plus la nuit à cause des crises d’épilepsie. Vers l’âge de six ans, il avait des crises d’hyperthermie, des convulsions, des angines. À la naissance, il a fait une détresse respiratoire. Il a été réanimé trop tard. Il y avait des avis contraires. Ils l’ont amené à l’hôpital, le mal était fait. On voit un sillon au cerveau à l’I.R.M. Le docteur a dit que c’était la cause du handicap. Le docteur a parlé d’encéphalopathie. Il a dit ça. Pas autre chose, on ne sait pas. ’ ‘Tout bébé, il a été opéré deux fois d’une hernie, les médecins ne voyaient rien, Il ne mangeait pas, ne grossissait pas, Les médecins ne le croyaient pas, ils ont envoyé une puéricultrice pour voir comment je faisais manger « mon gosse ». On l’a opéré, je ne me rappelle plus. Il a eu beaucoup de problèmes gastriques, si je saute les autres problèmes, il faisait crise sur crise. Il a été opéré pour le reflux. Cela lui est resté, il ne faut plus le toucher pour un soin, il se rebiffe. Mon mari s’est disputé avec le docteur, on ne pouvait pas l’attacher pour faire un encéphalogramme. Finalement mon mari avait raison, à la radio, on a vu que l’estomac était détraqué. Quand il a eu 7 / 8 ans, on lui a ouvert le ventre. Il était malade depuis qu’il est né, Depuis l’opération, il va mieux ».’ ‘’

Le médical est porteur de tous les espoirs, tout autant que d’angoisses catastrophiques. La focalisation sur le médical opère dans la triade médecin enfant parent une défense contre la pensée. L’enfant est dépersonnalisé, sans identité sexuelle ni âge, objet indifférencié. Il est morcelé dans les différentes considérations de ses fonctions invalides, comme préoccupation sur son existence et sa présence à l’autre.

On peut assimiler le surinvestissement médical des parents sur leur enfant à un mécanisme de défense destiné à transformer l’angoisse en privilégiant la prise en charge des altérations physiques bien réelles, mais tellement multiples, qu’elles s’inscrivent dans une spirale de la réparation du corps déformé. Cette position de « faire tout ce qu’il faut » apaise le conflit intrapsychique et a pour fonction de lutter contre la dépression.

Parfois, la réaction est inversée, dans une tentative de dénier le handicap avec des risques de défaut de soins qui peuvent apparaître comme une forme de maltraitance. Ces formations ne sont pas sans une certaine contiguïté avec les risques vitaux chez ces enfants gravement atteints.

Le recours à la médicalisation correspond à cette spécificité du polyhandicap constituée par le dilemme entre corps et psychisme, réparation et adaptation, dans une intrication peu clarifiée entre la souffrance parentale et celle de l’enfant.