1. 3. 2. La dépendance active mutuelle émotionnelle

Les déliaisons expressives induites par la situation du polyhandicapé ont comme conséquence une dépendance importante chez l’enfant qui pousse l’environnement à un renforcement des relations émotionnelles. Cette dépendance prend la forme d’une certaine compétence afin de suppléer la difficulté de s’inscrire dans une continuité. On peut penser que l’émotion garde une fonction intacte chez l’enfant polyhandicapé en tant que modalité communicative ainsi qu’une action adaptative à son propre handicap, intégratif de ses divers troubles, en les liant entre eux, dans un ensemble cohérent. La dépendance devientalors émotionnellement active.

Ainsi que le soulignent Trevarthen et Aitken (2003), chaque cas est unique en psychopathologie. Il n’y a pas de cas qui soit uniquement biologique, organique ou génétique, mais tous ont un trait en commun : « une dépendance active mutuelle émotionnelle ». 

Dans le cas d’un handicap grave et multiple, moteur, intellectuel et sensoriel, la dépendance totale n’évolue pas vers l’autonomie programmée et subit des distorsions. Les exemples sont fréquents pour illustrer cette dépendance émotionnelle très inconsciente qui se vérifie de façon dramatique, lors de la séparation de l’enfant avec ses parents quand il n’y a pas eu de possibilité de placement en institution. Cette dépendance se manifeste uniquement sur une base corporelle, non médiatisée par les processus conscients et cognitifs.

En considérant l’émotion comme une expérience subjective pour soi et un comportement observable par l’autre, avec ses effets socio affectifs, Wallon (1934) décrit un premier stade comme étant celui du mimétisme émotionnel et surtout de l’indivision, c’est-à-dire de la fusion symbiotique.

Cet exemple permet d’illustrer combien l’enfant dépose dans son environnement l’essentiel de tous ses états affectifs en termes de moi corporel, dépendant de façon vitale de ses proches :

‘ Une jeune fille de 17 ans est présentée pour être admise dans l’établissement après avoir passé 14 ans dans un établissement très médicalisé. Elle n’a aucune mobilité et a une posture très droite contrainte par un corset et différentes prothèses. Elle n’émet pas de sons. Elle sourit toujours en regardant ses parents. Sa mère pleure, se révoltant contre la brutalité de cette décision de changement qui ne tient pas compte de la sensibilité extrême de sa fille aux changements, qu’elles vivent l’une comme l’autre comme quelque chose de catastrophique. Deux semaines après l’admission, la jeune fille refuse de s’alimenter, doit être hospitalisée et il est question de lui poser une sonde gastrique, face aux risques vitaux. Le corps est le seul moyen d’expression et la détresse la conduit à une manifestation somatique extrême : le refus de vivre, majoré par la douleur de la mère qu’elle tente d’exprimer.’

La dépendance émotionnelle active peut alors représenter une capacité, active par sa fonction interpellatrice adressée à l’environnement proche, sous forme d’injonction : « si tu ne t’occupes pas de moi je peux mourir ». La relation s’établit ainsi, chargée de culpabilité, par la crainte de ne pas savoir s’occuper de l’enfant, associée à une inacceptable identification, sauf à ce qu’elle devienne monstrueuse.

S. Korff-Sausse (2001), dans son ouvrage « D’Œdipe à Frankenstein » explique comment la rupture généalogique, interrompant la chaîne phylogénétique, vient interroger l’identité parentale et donner naissance à des formations réactionnelles au cours desquelles les fantasmes de réparation sont fréquents.

Les travaux d’inspiration psychanalytique ont mis l’accent sur la dimension du désir dans le lien mère enfant et des conséquences de la blessure narcissique de la mère, sur la constitution de l’ image du corps altérée de l’enfant. Le concept de Personnalisation de Winnicott (1971) nous permet de comprendre comment l’enfant peut organiser son moi de façon normale ou au contraire avec des troubles psychotiques qui peuvent être mis en rapport avec les conséquences de la blessure maternelle. Ce concept ne s’applique pas seulement à son développement intrapsychique mais également à la façon dont son environnement le considère.

Les parents sont fréquemment placés devant la nécessité d’agir, face à cet enfant fragile, dont le risque vital est bien réel. Cependant l’aspect répétitif, parfois jusqu’à l’excès, des opérations chirurgicales et des soins lourds nécessaires, peut s’analyser comme une forme de compensation à la dépression parentale, lorsque la réalité psychique de l’enfant n’est plus considérée.