2. 1. 2. Les théories neurobiologiques sur le partage des émotions

Il est évident aujourd’hui que tout état psychique est porté à la base par un processus organique. Il n’y a pas de pensée sans cerveau ni de comportement sans corps. Naturellement le domaine de la vie affective n’échappe pas à cette règle. Le dualisme de l’esprit et du corps qui résulte d’une opposition des deux ne domine plus la science. La science neurobiologique et la psychologie vont dénoncer cette conception de la dualité qui recouvre une conception du pur esprit et de son indépendance vis-à-vis du corps, matériel. Ce principe n’est pas récent et pose la question de la compatibilité entre les modèles métapsychologiques et les modèles neurologiques. Freud écrivait déjà en 1920 dans Au-delà du principe de plaisir : « la biologie est vraiment un domaine aux possibilités illimitées, nous devons nous attendre à recevoir d’elle les lumières les plus surprenantes ».

Damasio (1994) par le biais de la neurologie renoue avec la pensée philosophique par sa réflexion sur les liens existant entre corps et esprit, entre biologie et morale, sentiments et vie sociale. Quelle est la signification humaine du sentiment, des notions de plaisir, de douleur, de souffrance ? « Les émotions se situent sur le théâtre du corps, les sentiments sur celui de l’esprit », estime-t-il. Il va dénoncer cette conception de la dualité qui recouvre une conception du pur esprit et son indépendance vis-à-vis du corps, matériel.

L’erreur traditionnelle d’opposer l’organique et le conscient est démentie par Damasio pour qui les deux domaines résultent d’une évolution commune. Il n’y a pas d’un côté les processus corporels, qu’on appelle l’émotion, et de l’autre les processus subjectifs, séparés du corporel. Les processus émotionnels doivent être étudiés comme des séquences, se déroulant dans le temps et se décrivent dans le courant de la perception en ouvrant la voie à des interrogations sur les rapports entre émotion, cognition et conscience. Il propose une théorie d’emboîtement à partir de la régulation émotionnelle. L’organisme détecte les changements internes et externes et agit en fonction de ces processus et conformément à ce qu’il détecte. Ce sont ces perceptions corporelles qui prennent naissance dans des zones de convergence corticales et sub-corticales et orientent nos raisonnements. Ces perceptions, par ailleurs, permettraient de prendre en considération les rencontres précédentes avec des stimuli et d’en tirer parti pour effectuer des choix, selon sa théorie des marqueurs somatiques.

Ce principe d’emboîtement consiste en un schéma de construction qui rassemble plusieurs réactions, des plus simples aux plus élaborées, incorporées à la machinerie des comportements de plaisir, de douleur. La partie la plus élaborée est constituée des sentiments qui succèdent aux émotions. La figure suivante selon le schéma de Damasio (2003, p. 50) permet de visualiser cette conception de l’emboîtement, qui sera finalisée dans la régulation des états de tension et de l’homéostasie.

Figure 1 - D’après Damasio. Les sentiments sont l’expression mentale de tous les autres niveaux de régulation homéostatique.

Damasio soutient donc que la prise de décision des sujets humains est guidée par un ensemble de marqueurs somatiques positifs ou négatifs qui leur procurent une « sensation viscérale » attirant son attention sur les conséquences négatives ou positives de son action. Les émotions permettraient alors d’évaluer le caractère désirable ou non d’une décision. Selon l’émotion ressentie, nous serions donc orientés, par exemple, vers l’approche (émotion positive) ou la fuite (émotion négative). L’émotion donne une étiquette agréable ou désagréable à une situation.

En effet, le système cognitif humain est certes extrêmement perfectionné, mais il est de ce fait fragile. Étant très élaboré, il lui faut un certain temps pour parvenir à une conclusion. Les émotions permettent alors au cerveau humain de réagir de façon beaucoup plus rapide à une situation donnée, en éliminant très rapidement un grand nombre de réactions possibles. Ainsi, lorsqu’on a été malade à la suite de l’ingestion d’un aliment, nous ressentons instantanément du dégoût pour ce produit et notre réaction immédiate est la nausée : l’émotion nous permet alors de réagir beaucoup plus rapidement à un danger potentiel qu’un véritable raisonnement.

Toutes ces recherches sur les structures nerveuses mises en jeu lors de processus émotionnels mettent en avant l’implication de l’hypothalamus. Il est également important de noter que ce dernier occupe une situation privilégiée dans le contrôle des réponses hormonales, expliquant alors les manifestations physiologiques suite à l’apparition d’une émotion.

Le cortex préfrontal est une zone qui connecte les aires associatives responsables de l'analyse et de l'intégration des stimulus extérieurs aux zones chargées de l'élaboration des plans d'action et à celles qui contrôlent le milieu végétatif interne. Ainsi, le cortex préfrontal, via l’amygdale, associe les sensations émotionnelles, implicites et automatiques, à un stimulus. En même temps il enregistre cette relation et sera, par ailleurs, capable de réactiver les sensations émotionnelles lors d'une rencontre ultérieure avec le stimulus conditionnant.

Figure 2 - D’après Damasio sites de déclenchement et d’exécution de l’émotion