Selon Stern (1989), la résonance émotionnelle est le processus initial de l’empathie et ne nécessite pas de médiation cognitive. Survenant généralement hors de la conscience, elle pourrait en être la condition indispensable.
Il y a une différence entre l’empathie et la résonance. L’empathie désigne la participation particulière avec l’autre dans laquelle le sujet s’identifie et se projette au point de partager ses états d’âme et les ressentir comme siens, dans un sens interpersonnel, d’échange et de contact, dans le sens de la psychologie et de la psychanalyse depuis le début du vingtième siècle.
Je désigne par résonance la façon dont un sujet est affecté par le visuel, par les sons et par les formes, donc la nature sensorielle de cette résonance. Ce serait une autoreprésentation, soi au sein d’une représentation, une sensibilité organique émanant de l’ensemble des sensations internes qui susciteraient chez l’être humain le sentiment général de son existence.
Les rapports complexes qui lient l’observateur à ce qui est perçu sont évoqués pour la première fois par Robert Vischer (1873), traduit et étudié par Stéfania Caliandro (2004) à propos des rapports entre Empathie et Esthésie.
Selon cet auteur, Vischer emploie le terme de « symbolisme de la forme » à propos de la relation esthétique qui articule l’empathie à la cénesthésie 2 (correspondance des sensations) et cette notion se réfère aussi bien à une dimension consciente et inconsciente, quel que soit le sens qu’il ait donné à l’inconscient. Il parle d’excitation sensible, de réception sensorielle, de perception subjective.
Tout le corps peut être concerné, une excitation visuelle sera vécue dans une autre région corporelle, par exemple celle de la peau ou encore, une couleur peut être décrite comme criarde parce que l’aspect éblouissant fait surgir des stimuli désagréables au niveau des nerfs acoustiques, un son strident peut donner la chair de poule. La sensation des limites extrêmes d’une forme peut se combiner d’une manière obscure avec les sensations des limites corporelles. Ces illustrations fonctionnent sur le mode de la cénesthésie. Ainsi les stimuli mentaux peuvent provoquer des stimuli moteurs et tactiles, des stimuli moteurs et sensoriels peuvent se connecter avec des stimuli mentaux et vice-versa. Vischer rappelle que Goethe concevait déjà une action sensible aux couleurs. Celles-ci sont associées à des valeurs thermiques : le froid au bleu, le chaud au jaune et au rouge.
Comment exprimer le sentiment d’attraction harmonieuse des ressemblances ou au contraire, la dissonance et l’impression d’étrangeté ? Cette résonance ou cette dissonance peuvent se rapporter aux stimulations, aux excitations et aux impulsions venues de l’extérieur et reliées par des interrelations sensorielles. La présence de la cénesthésie provoque une intériorisation du vécu. La sensation se charge d’une autoreprésentation et il ne s’agit pas seulement de ce qui est vu mais de l’être en train de voir.
L’aperception 2 (conscience réflexive de l’état intérieur) entre en jeu, sorte de mélangeur, un médium dans lequel la perception des éléments contradictoires ou différenciés se rassemblent entre moi et non-moi. La résonance peut alors s’envisager comme la première étape du passage du sensoriel corporel au ressenti conscient. Ainsi les émotions exprimées dans un mouvement, dans un élan, se traduisent dans le psychisme d’autrui peut-être sans lien les unes avec les autres dans une forme de réception qui en ferait la synthèse, les rassemblerait avant de les reconnaître et les restituer.
Lorsque la résonance concerne les êtres humains et rend intelligibles tant leur apparence sensible, le ton, la flexion de la voix que leurs manifestations vitales, comment alors les aspects aperceptifs et les identifications, entraînés par cette réception s’organisent-ils dans la conscience, lorsque leur valeur présymbolique potentielle n’est pas reconnue en tant que forme signifiante et sensible ? On peut penser que la non qualification des formes de communications corporelles et affectives représente des points lacunaires et des mouvements insensés qui peuvent dégénérer vers des évacuations.
Trevarthen (2005) à propos de la conscience des bébés pose la question fondamentale : « Comment un bébé prend-il conscience des autres et de ce qu’ils font » ? Il affirme que l’échange affectif dynamique constituant la communication mère -enfant étudiée ces dernières années est basé sur une musicalité des échanges qu’il nomme « musicalité communicante ». Il donne alors une définition de l’intersubjectivité à partir de la motivation. S’agissant de l’intersubjectivité, elle n’appartient pas au domaine de la cognition sociale ou de la théorie de l’esprit, car, de son point de vue, ces concepts évoquent la connaissance des choses qui n’est pas forcément psychologique, ce qui l’oppose à celle des personnes.
Pour Trevarthen, la motivation et l’intersubjectivité trouvent leur source dans la détection directe des principes motivationnels poussant autrui à faire ce qu’il fait. Il fait remarquer que la motivation et l’intersubjectivité sont affaiblies dans l’autisme. En ce qui nous concerne, cette faiblesse de la motivation est particulièrement présente dans le polyhandicap pour des raisons qui sont certainement plus constitutionnelles chez lui mais observables dans ses symptômes. Trevarthen, postule que le cerveau, dès la naissance, a une capacité d’interaction « cerveau à cerveau ».
Ce type de manifestation émotionnelle a été également étudié par Bavelas en tant que phénomène du « mimétisme moteur » (Bavelas et al., 1986, 1988), comportement non verbal, de la part de l’observateur approprié à la situation de l’observé (par ex., faire la grimace devant quelqu’un qui se fait mal).
Lisa Ouss-Ryngaert (2004) rappelle l’influence du fonctionnement cérébral sur les liens interpersonnels. Nous la citons : « la résonance en neurosciences se réfère à la capacité des neurones de répondre sélectivement aux imputs à des fréquences répétées et la résonance amplifiée sert à la coordination et la synchronisation des patterns ou réseaux d’activité ». L’influence du fonctionnement cérébral sur les liens interpersonnels serait donc à étudier dans le sens où le cerveau se modifie sous l’influence des relations interhumaines. A contrario, un cerveau lésé prématurément peut entraîner des troubles de la relation.
La fonction des « activités rythmiques » est mise en évidence par G. Haag (2000) à partir de son hypothèse centrale que les rythmicités biologiques trouvent leur correspondance affective et relationnelle dans un processus de transformation contenant avec des effets de régulation puis d’élaboration symbolique. Cette activité, qui commence sans doute souvent in utero, peut se prolonger au-delà de la première année de la vie pour être abandonnée en règle générale entre 18 mois et 3 à 4 ans, parfois plus tardivement. On observe donc là un moyen non verbal de transmission d’un message qui permet d’établir une interaction synchronique. Ces phénomènes peuvent se rapporter également à des processus engagés dans les phénomènes d’empathie et d’identification projective et mettraient en jeu une activité « d’échoïsation corporelle », de mimiques, posturale, sonore ou tactile.
A contrario, cela suppose que la rythmicité désordonnée de l’enfant polyhandicapé met potentiellement en difficulté la correspondance relationnelle et affective décrite plus haut avec une difficulté de contenance génératrice d’anxiété.
Cénesthésie : d’après le dictionnaire de philosophie, mise en commun des sensations. La forme obscure et inconsciente pourrait être celle de l’embryon dans le ventre maternel ( traduction de Vischer). Ce terme renvoie à la philosophie de l’inconscient d’Hartmann (1864), qui cite l’exemple du rêve de notre corps par une maison.
Ce « symbolisme de la forme » a été repris par Freud qui s’est inspiré du courant de ces auteurs qui se sont intéressés au rapport des formes rythmiques élémentaires à l’empathie dans sa conception de l’interprétation des rêves (cité par F. Coblence, 2004, à propos de la note qui a été ajouté en 1911 par Freud )
. Aperception : mot créé par Leipniz qui l’emploie pour signifier la conscience de ce qui se passe dans l’âme.Selon ce philosophe l’aperception nous informe des perceptions qui nous représentent le monde extérieur.
L’aperception est liée d’après Winnicott (1962) à ce qu’il appelle l’objet subjectif