5. 3. L’expression sonore des émotions

L’étude des expressions émotionnelles a été dominée durant plusieurs années par le courant théorique des « émotions de base » qui défend l’existence d’un nombre réduit d’émotions fondamentales.

L’attention a été portée essentiellement sur les expressions faciales (Ekman, Friesen Ellsworth, 1972 ; Izard 1995 ; Emde 1993). Ces études décrivent des types statiques d’expressions faciales des émotions de base qui sont universellement partagées. Il faut toutefois souligner que ces études, souvent réalisées à partir de photographies, favorisent des conceptions figées qui ne prennent pas toujours la mesure de la dynamique des états émotionnels et leur variabilité.

Compte tenu de ces restrictions liées à la méthodologie, Scherer (1984) présente un cadre théorique qui permet de concevoir l’émotion comme un processus fluctuant, replaçant l’individu dans un contexte environnemental et situationnel. On peut citer son modèle des Processus composants qui propose une évaluation au cours du temps. Ainsi, la lecture d’une émotion primaire dépend bien du présupposé culturel, alors que notre interprétation de ces émotions est le résultat d’une construction beaucoup plus complexe ainsi qu’en témoigne ce modèle. En effet, cette conception part du principe que les états émotionnels se composent de processus que l’on peut représenter comme des modifications de types d’états dans des sous-systèmes de l’organisme. Sa conceptualisation permettrait donc une représentation de mélanges d’émotions. Il ne s’agit pas dans ce point de vue d’émotions achevées mais d’éléments de facettes présents simultanément et appartenant à des émotions diverses qui se combineraient en une émotion composite. Ces différences de conception des processus néanmoins répondent à des finalités diverses. Les émotions peuvent être décrites comme des modalités d’expression destinées à informer autrui d’une situation particulière, chargée de valeur pour le sujet, ce qui peut se combiner avec un effet de régulation interne de l’activité mentale et comportementale.

Scherer (1986)  a clairement montré les effets de l’émotion sur la voix concernant quatre émotions, la joie, la peur, la colère et la tristesse. Ces émotions ont été simulées par des acteurs selon deux modalités de chaque émotion. La joie calme et le joie intense sont distinguées, par exemple. Différents types d’évaluation sur la voix sont mis en place selon le cadre théorique des processus composantes qui offre l’avantage de dépasser en variabilité et en finesse de prédiction le champ d’étude des émotions de base.

Tout l’appareil de production vocale est affecté, le système respiratoire, les systèmes de phonation et d’articulation. Scherer contredit les théories qui stipulent qu’à chaque émotion de base correspond un pattern d’expression défini. Au contraire, à l’intérieur des familles émotionnelles correspondent des expressions différentes. Par exemple, il y aura de la colère liée à l’agression ou à la frustration, les différences font apparaître des variations acoustiques, au sein de la famille d’émotion colère. Il démontre que les juges distinguent deux types de colère : celle qui est liée à l’agressivité et celle qui est liée à la frustration. La méthode la plus fréquemment utilisée pour étudier les expressions vocales émotionnelles consiste à enregistrer des acteurs qui simulent l’émotion. Cependant cette utilisation suscite aussi des critiques car les expressions ne correspondent pas exactement aux expressions véritables.

Le statut de l’expression sonore est double. D’une part, elle peut servir de décharge, dans une expression spontanée, dans le cas des cris et des pleurs mais c’est aussi dans sa valeur de communication verbale qu’elle est étudiée, en tant que langage. Elle peut servir de régulation, mais aussi de mécanisme de défense, en tant que contrôle de l’expression. Elle peut donc être une réponse sensori-motrice ou bien une activité régulatrice de l’émotion par sa capacité de réduction de l’affect. Lorsqu’on parle de ce qui ne va pas, cela va mieux.

En se plaçant du côté de l’interlocuteur, les phénomènes de résonance affective et d’empathie puis d’identification à partir de la thèse de l’analyseur corporel font reposer la perception des sons et du langage sur un mécanisme identificatoire avec l’interlocuteur. Dans ce cas, la reconnaissance de l’expression sonore est liée, d’une part à un ressenti, d’autre part à une reconnaissance par articulation à d’autres processus expressifs, le regard ou les gestes.

L’idée formulée par Lipps 1 (1903) dans le domaine de la communication non verbale et de l’empathie est que la reconnaissance des émotions exprimées par autrui est basée sur les expressions émotionnelles vécues par les observateurs. L’observateur reproduit plus ou moins consciemment et ouvertement les expressions qu’il observe et se base sur la sensation.

La reconnaissance des expressions vocales émotionnelles se ferait par imitation et réaction proprioceptive. L’autre composante de la reconnaissance des expressions sonores est commune aux autres expressions faciales et kinésiques. Elle est alors rationnelle, se déroulant par associations et apprentissages au cours de combinaisons entre indices, réactions et situations.

Les productions phoniques, les expressions sonores à tonalité positive ou négative participent à la résonance émotionnelle. Ainsi, la façon dont l’environnement affectif de l’enfant déterminera la valeur positive ou négative des expressions émotionnelles vocales, infléchira leur lecture possible et leur interprétation. Celle-ci sera entièrement subjective. D’une certaine façon, la dramatisation dans l’intensité sonore et sa diffusion corporelle produisent un effet d’écho persécuteur, mais permettent de rendre audible l’affect.

Notes
1.

Theodor Lipps est l’auteur à qui on doit le glissement de la signification de la notion de l’esthétique à la psychologie, ouvrant un champ privilégié dans la réflexion sur le soignant et le soigné, l’empathie serait une tendance à appréhender la souffrance.