6. 1. L’empathie

C’est un mode de connaissance de l’autre au sein duquel l’affect tient une place importante. Freud a utilisé ce concept hérité de l’esthétique allemande. Comme le font remarquer Porte et Coblence (2004) 1 , la notion a été inventée par Vischer (1873), pour rendre compte d’une sensibilité esthétique, liée à la projection de nos états affectifs dans les objets, une sympathie esthétique (cf. résonance et relation esthétique).

Lipps (1903) lui aurait apporté une acception plus large en la plaçant dans le registre de la compréhension de l’expérience subjective d’autrui.

Pour cet auteur, l’empathie obéit à deux tendances, coexistantes dans le psychisme humain :

  • Imiter les émotions d’autrui ;
  • Relier notre vécu affectif à des traces mnésiques déposées par des expériences émotionnelles antérieures.

Le dictionnaire Robertla définit comme « affinité morale » similitude de sentiments entre deux ou plusieurs personnes, une participation à la douleur d’autrui. Elle serait le fait de ressentir ce qui touche autrui. Il y a une ressemblance avec la sympathie, existe-il un risque de confusion avec des données voisines comme l’affinité morale, la similitude de sentiments, la compassion, la contagion émotionnelle, l’intuition et enfin la sympathie.

Selon Cosnier (1994), toute étude des phénomènes émotionnels traduit ce qu’il nomme le postulat empathique chez le chercheur. L’aspect subjectif résulte des références personnelles, de ses expérience, ses états d’âme, ses propres éprouvés émotionnels qui interfèrent avec les choix et les méthodes des études.

Dans « Psychologie des masses et analyse du moi», Freud (1920) définit ainsi l’identification : « l’identification est le processus que la psychologie appelle empathie ». L’empathie est présente dans son débat avec Ferenczi (1928) qui la qualifie de Tact et d’intuition alors que Freud se méfiait d’une assimilation à une connotation mystique ou à une activité irrationnelle, ce qu’il récusait.

Ainsi que le soulignent Porte et Coblence (op. cit), l’essor de ce concept provient de Kohut (1959), avec l’émergence de la psychologie du self, dans le courant américain de l’intersubjectivité. Son modèle tire sa source de la dyade mère- enfant, de la relation primaire. On peut évoquer le concept de « préoccupation maternelle primaire » (Winnicott 1956) qui met en évidence l’hypersensibilité maternelle, comparable à un état normal de folie, dans le contexte de la naissance, et celui de capacité de rêverie maternelle pour Bion (1962) dont l’originalité est de considérer la rêverie comme support de l’activité de pensée.

De son côté, Hoffman (1984) fait apparaître la composante cognitive de l’empathie dans les modes d’activation. Cette composante évolue suivant des niveaux de différenciation de l’enfant avec son environnement qui s’effectuent selon les stades de Piaget. Reprenant les notions de Lipps pour qui l’empathie est innée et constitue une réponse isomorphique à l’expression faciale, gestuelle, vocale de l’émotion d’autrui, il distingue des phases :

  • Une empathie globale, en contagion mentale dès la naissance 
  • Une empathie égocentrique à partir d’un an 
  • Une empathie pour les sentiments des autres à partir de trois ans 
  • Une empathie pour la situation de l’autre autour de sept ans.

Les modes d'éveil empathique pour Hoffman (1978) au cours du développement comptent au moins ces quatre modes distincts d'éveil qui varient suivant le type de stimulus. Ces derniers sont le visage, la situation, l’ imaginaire et le symbolique, la quantité et la sorte d'expérience passée. Cette évolution de l’empathie, associée à l’émotion reflète bien les ambiguïtés de l’empathie. Est-elle un processus conscient avec une composante cognitive, un mécanisme préconscient comme l’a déterminé Freud qui voulait en limiter les dérives mystiques, un processus relativement inconscient comme le suggèrent les théoriciens de l’intersubjectivité ? Y a-t -il une conscience que les émotions ressenties appartiennent aux autres ? Cette notion privilégie le rôle et le partage des émotions.

Par rapport aux risques d’équivoque et d’absence d’objectivité, Widlöcher (1999) a parlé de co- pensées. Il est alors important de préciser les mécanismes de ce processus.

Elle a une double signification pour Lebovici (1983) qui estime que l’empathie est :

  • Un éprouvé émotionnel et corporel du psychanalyste en face du bébé et de ses parents
  • Une capacité à mettre en mots les affects véhiculés par cette rencontre.

L’empathie serait donc un modèle de connaissance d’autrui, comprendre du dedans, se sentir du dedans, une intuition de ce qui se passe dans l’autre, mais sans oublier qu’on est soi-même. Le point de départ serait corporel. Le deuxième temps peut être plus conscientisé.

Comme le fait remarquer, Cosnier (2003) l’utilisation de son propre corps en miroir du corps du partenaire joue comme imitation, identification ou selon son terme d’ « échoïsation ». Pour lui, « L’intériorisation ou la corporisation seraient une base des inférences empathiques » Nous sommes capables de ressentir dans notre corps ce que les autres ressentent en observant leur visage, leurs postures, leurs mouvements, en entendant le son de leur voix.

Différents auteurs qui ont analysé l’empathie la considèrent plus comme un processus évolutif que comme un mécanisme. Elle a pu être envisagée comme une compétence émotionnelle, du point de vue de Favre, Joly, Reynaud et Salvador (2005) avec l’utilisation du test CEC utilisé dans le cas d’adolescents dits violents afin de mesurer chez eux leur capacité émotionnelle d’empathie. Les échelles d’empathie, avec la nécessité de mise en œuvre de processus inférentiels ne sont pas sans évoquer les théories sur les méta représentations affectivo-cognitives et la théorie de l’esprit, lorsque l’empathie dépasse les premiers stades corporels de contagion mentale. Ces premiers stades, d’après Hoffman (1984) sont innés, ce qui laisse supposer que la capacité soit présente chez tous, quelles que soient les différences, mais certainement à des degrés divers.

Qu’est-ce qui peut faire obstacle à la mise en place de l’empathie et créer des ruptures dans le processus ? Les deux concepts d’imitation et d’identification qui en forment le socle posent la question du semblable et des obstacles lorsque autrui est trop différent. On voit que les conditions d’apparition des conduites expressives imitatives, suscitées par l’empathie dans l’adaptation quotidienne, ne sont pas seulement influencées par les facteurs cognitifs. Le lien émotionnel est privilégié dans la sélection des conduites, avec des bases de familiarité, d’identique. Mais lorsque les bases de la séquence sont altérées et lorsque le parcours doit emprunter des voies différentes ou substitutives, des interruptions apparaissent dans la chaîne du signifié : Empathie Imitation Identification Compréhension.

Notes
1.

Sous la direction de F. Coblence et J-M Porte, dans un numéro de la Revue française de psychanalyse consacré à l’empathie en tant que dimension clinique et théorique.