7. 1. Effets des troubles sur l’environnement

La qualité de la relation avec la personne polyhandicapée interroge l’efficience de la compréhension dans le but d’éviter son repli et son isolement affectif et social. Ces éléments relèvent surtout de la préconisation sans avoir fait l’objet de recherches précises, à ma connaissance. Les capacités expressives et réceptives sont souvent difficiles à repérer et interpréter. Les projets éducatifs de ce fait sont individualisés et complétés par les observations des parents. Cependant, de par la multiplicité et l’intrication des troubles, les études faites sur chaque domaine de difficulté pris séparément, notamment dans le domaine de la sensorialité et de certains aspects à caractère autistique présentent autant de sources de connaissances sur ce handicap difficile à aborder et à comprendre, dans une perspective communicative.

Il a été établi que certaines caractéristiques propres à l’enfant peuvent être associées à un risque de maltraitance (Sellinger et Hodapp 2005). Il est mentionné que le risque de maltraitance est plus élevé si l’enfant présente dès la naissance une atteinte chronique, comme une incapacité développementale ou une fragilité médicale (Meir et Sloan, 1984). En général, en ce qui concerne ces risques de maltraitance, il est important de relever qu’ils sont souvent associés avec des caractéristiques tels qu’un comportement difficile, des problèmes de caractère, des difficultés dans la vie quotidienne, des manifestations d’activité sexuelle qui augmentent le stress parental.

M. Sellinger et R. Hodapp ont étudié l’incidence de certains syndromes génétiques sur le stress parental. Les enfants atteints d’un syndrome de Williams ou de Prader-Willi par exemple auront des troubles de comportements, des accès de colère, des troubles obsessionnels. Les insuffisances cognitives augmentent le risque de maltraitance de l’enfant.

Par ailleurs les difficultés d’expression et d’identification des émotions ont pu être mises en relation avec ces risques. En ce sens, Young, Nosek et al. (1997) identifient les limitations émotionnelles comme un facteur augmentant la possibilité d’abus au même titre que les limites de motricité, la dépendance aux soins et les limitations physiques et intellectuelles.

Pour sa part, Plamondon (2006), juriste et sociologue, affirme que la difficulté dans l’expression des émotions est un facteur de vulnérabilité pour les personnes ayant une déficience intellectuelle ou une incapacité physique.

Dans le contexte de ces études, il est établi que les enfants porteurs d’un syndrome de Down affichent une personnalité affectueuse, positive, aimante et des comportements relativement bien adaptés. De ce fait, le syndrome de Down entraînerait un ressenti plus positif chez les parents (Hodapp et al, 2003). Les enfants porteurs d’un syndrome de Down sont considérés comme de jeunes enfants, suscitant jusqu’à l’âge adulte des attitudes comparables à celles qui sont adaptées aux jeunes enfants.

R. Pry et C. Aussilloux (2002) ont comparé les représentations de l’autisme entre les parents, les professionnels et des étudiants appelés pré-professionnels, moins impliqués auprès des enfants. Il ressort de cette étude que la représentation des trois groupes est congruente. Cette convergence, conforme aux représentations actuelles, porte sur le rejet des idées des causes affectives et cognitives des parents. L’autre convergence porte sur la connaissance et le repérage clinique conformes aux connaissances actuelles. Parents et professionnels partagent l’idée que la destinée de l’autisme dépend de la prise en charge proposée. Selon les auteurs, le professionnel est plus sensible à des éléments cliniques comme l’absence de réciprocité dans l’échange visuel, les anomalies du fonctionnement cognitif et la présence de phénomènes écholaliques. Les parents rejettent le qualificatif de violent pour caractériser l’enfant autiste, évoquent une origine génétique à ses troubles et recherchent la possibilité d’intégration avec d’autres enfants. Le pré-professionnel continue d’avoir une représentation de l’autiste, enfermé dans une cage de verre que les auteurs nomment naïve. Les résultats montrent l’importance des pratiques comme facteurs de transformation des représentations.

Pour compléter cette approche, dans une vision plus processuelle, nous évoquons une étude qui a été effectuée sur la perception des expressions chez des parents d’enfants prématurés (Szajnberg et Skrinjaric, 1994). Les mères d’enfants prématurés interprètent différemment les expressions de leur enfant que les mères d’enfants non prématurés. La collection de photographies Ifeel leur est présentée. Les interprétations d’expression de tristesse et les interprétations négatives sont significativement plus nombreuses chez les mères d’enfants prématurés. Nous rappellerons que les parents des enfants de prématurés doivent faire face dès la naissance à une multitude de vicissitudes et de ruptures traumatiques. Les effets sur la mère de l’expérience parentale de la naissance ou de la grossesse sont significatifs sur la représentation interne de son enfant et sur l’interaction établie avec celui-ci. Dans ce contexte, les résultats indiquent un nombre plus élevé de réponses de tristesse chez ces parents. Quels sont les facteurs qui interfèrent ? Les auteurs mentionnent : la personnalité des parents, les caractéristiques de l’enfant, les circonstances expérientielles de la naissance, l’anxiété de la maternité, et les sentiments positifs ou négatifs autour de la naissance.

Ces recherches ont des implications cliniques pour explorer les variations dans le soin et identifier les problèmes.

Sorce et Emde (1982), cités par Brun et Mellier (2004) ont présenté une collection de photos de leurs propres enfants, porteurs de trisomie et d’enfants non-porteurs de trisomie. La moindre intensité de la manifestation émotionnelle de l’enfant porteur de trisomie est compensée par une intervention plus engagée de sa mère. Les mères d’enfants porteurs de trisomie interviennent de façon plus stimulante que les mères d’enfants ordinaires.

Cicchetti et Schneider-Rosen (1984) notent des différences importantes des interactions affectives et cognitives entre les mères et les enfants atteints d’un trouble du développement et les mères d’enfants non troublés. Ces enfants étant très largement dépendants de leur mère, ces difficultés peuvent notamment entraîner des effets émotionnels et de stress. Ces hypothèses sont très intéressantes pour la prophylaxie.

Enfin, dans une autre étude (1976), Cicchetti et Sroufe (1976) ont déterminé que les expressions d’émotion diminuées et « refroidies » chez les enfants en bas âge atteints du syndrome de Down créent des difficultés interprétatives réciproques, ces difficultés interprétatives affectent l’enfant. Il est noté que la compréhension plus lente des informations peut aboutir à de longs temps de latence dans l’expression. Ces ruptures dans la communication socio émotionnelle peuvent contribuer à des problèmes de comportement pour l’enfant mais aussi pour le parent.

Régine Scelles (1996), dans ses travaux sur les problématiques fraternelles, lorsqu’il y a des enfants polyhandicapés, évoque l’emprise du handicap dans l’agencement des relations intrafamiliales, dans les modifications fantasmatiques traduites par des attitudes particulières. Elle relève l’existence, chez les frères et sœurs, d’un fort désir de protection qui serait plus spécifique de la position parentale. Régine Scelles évoque leur souffrance, souvent méconnue, son impact sur leur psychisme, différent de celui qui se manifeste chez les parents et le non-dit qui pèse sur l’expression des sentiments dans beaucoup de familles :

‘« la relation de compétition-agressivité de nature oedipienne, initialement centrée sur les parents est oblitérée au profit du renforcement d’une relation de type vertical-parental». (p. 32)’

Les difficultés d’identification sont peut-être à rapprocher des difficultés de séparation. Cet impact sur les proches familiers s’inscrit profondément dans une forme de souffrance souvent déniée, peu conscientisée et peu connue alors qu’elle engage l’existence affective et professionnelle de ces frères et sœurs.

Comme on peut s’y attendre, il n’est guère possible de découvrir un facteur unique qui rende compte à lui tout seul des perturbations observées dans la compréhension des comportements non verbaux des enfants. Il faut plutôt postuler que l’interprétation des signaux non verbaux fait appel à plusieurs procédures, chacune d’entre elles étant affectée ou altérée par une pathologie particulière du comportement, dans l’optique d’une identification des variations et des situations. La structure relationnelle des échanges affectifs, soutenue par des éprouvés, représentera un autre critère dans la compréhension de l’enfant. Identifier et ressentir font partie du contexte émotionnel, dans un double versant de la compréhension.