9. 2. 2. Étude clinique des discours

Les discours sur l’identification des variations et les informations 

Nous présentons en annexe 2. un entretien de mère et un entretien de professionnel, intégralement retranscrits.

Nous partons ici d’exemples cliniques pour illustrer des données subjectives qui font apparaître la question des éprouvés relatifs à l’empathie et à ses aléas.

La joie discriminée de façon constante dans l’échantillon, a une charge émotionnelle partagée et elle est donc la plus susceptible de favoriser l’empathie. Cette émotion est facile à reconnaître par tous les partenaires. Ceci par ailleurs est communément mis en évidence dans la plupart des études (Kirouac et Doré, 1982 ; Gosselin, 1995) en référence à la régulation des rapports humains dans la relation d’attachement.

À partir d’un même résultat dans les identifications de la joie, le vécu est très différent à ce propos. Pour les mères, elle est ressentie comme une émotion à partager. Pour les soignants, elle peut être associée à une intensité qui provoque des inquiétudes par l’effet d’emballement de l’excitation. Chez la mère, cette perception est attribuée à un phénomène interpersonnel alors que pour le soignant, la joie participe d’une dérégulation ou d’un désordre physiologique.

‘« Il est souvent content dans la journée, oui, il est très agréable, quand sa grand-mère lui chante maman les p’tits bateaux. C’est elle qui l’a toujours chanté. Avec nous, il n’y a pas de situation particulière qui le fasse rire. Il rit en même temps que nous, il nous imite.  ’ ‘Oui, cela correspond aux autres enfants, oui, l’expression est la même, il sourit, la bouche est grande ouverte, les yeux plissent, il fait « die, die, die », il n’est pas plus marqué qu’un autre, c’est exactement pareil. Il a en plus les sons. Il est très agréable. Mais Il n’y a pas de raison particulière à sa joie, sauf quand on va se promener ». ’

Joie pour un professionnel  sur le même enfant :

‘« La joie, il sourit en lui-même, On ne sait pas pourquoi, c’est une raison interne. il joue, il est heureux, il se renverse, le visage bien ouvert. Il fait des sons, cela dégage du bonheur, ou bien « die die, die, » il peut aussi rire aux éclats, quand on lui fait des chatouilles ou qu’on le touche. C’est très harmonieux, il a des petites fossettes, il est charmeur, c’est très expressif, il montre les yeux de côté, c’est très mignon. Il en fait craquer plus d’un, soudain, tout change il se met à hurler, on ne sait pas pourquoi ».’ ‘« Là, c’est l’explosion, elle crie très, très fort. Elle saute sur place, elle peut courir dans tous les sens. Elle n’est pas dans la demi-mesure. Il y a beaucoup d’expressions aussi sur le visage. Elle ouvre une grande bouche, elle n’en peut plus, elle montre les dents Croa ( imitation) Les yeux pétillent ou font des lumières, les prunelles sont très noires, elle a des fossettes.
Elle se penche et crie ».’ ‘ « Le message c’est autant pour elle une question d’intensité que de valeur, la valeur négative et positive est confondue. Je réfléchis, je ne vois pas bien, Elle tourne autour d’elle, agite la main ». ’ ‘«  La joie s’exprime beaucoup avec des grands rires. Elle rigole avec moi, quand je lui parle ou que je chante. Elle fait comme moi, on rigole toujours. C’est difficile pour moi d’évaluer la tristesse, car je ne peux pas. Peut-être que je n’arrive pas à comprendre qu’elle peut être triste ». ’ ‘« La joie, c’est difficile, parce qu’elle prend des fous rires dans son monde, ce n’est pas dans la réalité. C’est délirant. Si elle est dans son monde, elle prend des fous rires. Cela fait folie. Soit c’est le fou rire, soit la prostration... Cela peut arriver comme ça. On imagine qu’elle a quelque chose une vie intérieure, une vision à elle . Cela pose question, mais cela enrichit, car on est plus tolérant au monde de l’autre, on tente de ne pas interpréter, de respecter. Ce rire, cela fait malaise, ce n’est pas réactionnel chez elle, cela peut être n’importe quoi ». ’

La causalité est donc interrogée. Les mimiques du visage sont bien perçues au niveau des variations. Elles sont discriminées comme telles. Cependant la signification n’est pas toujours établie, même dans la joie qui est une émotion unanimement perçue. La relation de cause à effet est problématique. Cette difficulté d’attribution de la signification a comme conséquence une absence de prévisibilité et d’anticipation.

L’exemple suivant permet d’entrer dans un univers affectif dans lequel le partenaire ne parvient pas à établir un lien empathique, restituant des angoisses essentielles au niveau vital sans pouvoir là encore faire apparaître la causalité.

‘« elle s’est repliée sur elle-même, impénétrable. Cela nous a renvoyé une détresse extrême. Est-ce notre subjectivité ? Mais elle est restée trois semaines sans vouloir manger. Ces prostrations, je n’avais jamais vu cela. Une cuillère dans la bouche à 6 h du soir, elle l’avait encore depuis le repas de midi. Elle avait arrêté la salive, tout fermé, même les besoins primaires. Elle faisait à peine ses besoins. Tout était ralenti, blocage complet au niveau des fonctions vitales qui se sont fermées. Nous avons ressenti très fort cette émotion, mais elle ne l’a pas exprimée avec son visage ». ’

À partir de ces exemples cliniques de la restitution des éprouvés partagés, nous constatons que les parents et professionnels recourent à des mécanismes de défense différents. Nous constatons que les mères n’évoquent pas les représentations négatives. Elles n’en parlent pas.