9. 3. Discussion de la première investigation

9. 3. 1. L’influence de la place de parent ou de professionnel dans l’identification des émotions 

Dans cette recherche, les mères décodent mieux les différentes expressions de l’enfant que les professionnels, selon leurs réponses. Elles donnent des réponses plus nombreuses, nuancent le décodage, avec une palette expressive restituée plus large. Selon tous les partenaires, les enfants expriment les six émotions de base de façon plus corporelle que faciale et les productions sonores, vocalises, cris, sons divers accompagnent ou se substituent aux expressions faciales et aux mimiques rattachées à ces émotions de base. Le décodage est davantage associé à une interaction qu’à la seule expression. Comprendre et se faire comprendre sont plus liés à la chaîne des échanges qu’à la seule interprétation indépendante.

Nous étions partis de ce qui est admis pour cette première expérimentation que les émotions se percevaient surtout à partir de l’expression du visage, comme premier identifiant favorisant l’émergence de la familiarité et des interactions. Or, les données de notre recherche indiquent de très nettes perturbations au niveau de la reconnaissance des expressions du visage, exprimées par les professionnels, dans les dessins du visage. On note une tendance à gommer l’expressivité des yeux au profit des yeux sans pupilles, à accentuer l’importance de la bouche et certainement de l’oralité. Le visage, source d’interrogations et de troubles sidère les professionnels. Par ailleurs, nous observons dans les dessins des mères une certaine standardisation de l’expression sur des modes socialement admis comme référence expressive, renforcée par un discours normatif : « il est comme les autres ». On peut aussi supposer, avec les réserves que cela exige dans ce type de transcription, que le visage dessiné représente ce qui pourrait être vécu comme manquant à l’enfant, dans une reconstruction de ce qu’il devrait être, comme forme idéalisée de l’enfant intact. Nous retenons ici que le dessin fait appel au concept d’analyseur corporel et au modèle effecteur. L’étude du discours laisse à penser que ce trouble de la reconnaissance des expressions du visage peut être associé à une possible incapacité, pour certains enfants, à différencier les personnes. Cette incapacité pour certains est peut-être à mettre en parallèle avec l’impossible émergence de la reconnaissance de soi dans un miroir. Cette difficulté de se reconnaître dans le miroir, ou sur une photo, se transfère sur celle de la différenciation des personnes de l’entourage, de leurs attributs. Cependant, à partir des différentes sensorialités, une relation d’objet peut naître dans l’intersensorialité, puis l’intériorisation et la mémoire autorisant la perception d’une certaine familiarité.

A titre d’exemples pour aller dans ce sens, quelques mères disent :

‘« il m’a reconnue très tardivement, là j’ai su que pour lui, j’étais sa mère ». ’