9. 3. 2. Effets des ruptures sur le ressenti : liaisons et déliaisons

Nous avions émis l’hypothèse que l’expérience subjective renforçait l’identification des signaux en termes de ressenti. Se faire comprendre et comprendre chemine alors par l’élaboration d’un véritable langage privé qui associe les émotions de l’enfant et celles du partenaire. Il y aurait des éléments discriminants en fonction des deux positions, parents ou professionnels.

Effectivement, nous avons trouvé plus de résonance émotionnelle chez les parents en référence aux nombreux processus d’imitation évoqués fréquemment dans leur propos. Par rapport aux dessins, selon la « théorie des effecteurs » de Bloch et le modèle empathique de l’échoïsation de Cosnier, le nombre de visages dessinés et la spécificité des détails font appel au ressenti de celui qui effectue le dessin tout autant qu’aux perceptions objectives : on attribue à l’autre ce que l’on ressent soi-même.

Aussi nous pouvons supposer que le ressenti maternel est différent de celui des soignants et que le décodage dépend du ressenti et de la place du partenaire. Cependant, Il y a des difficultés chez les soignants et les parents à évoquer leurs propres éprouvés. Lorsque l’éprouvé est abordé, il est confondu avec celui de l’enfant chez les mères, probablement en relation avec une attitude fusionnelle.

Par ailleurs, ces dernières évoquent aussi les capacités de l’enfant à imiter et confient que c’est pour elles un moyen de communication primaire qu’elles considèrent comme un langage.

Les professionnels, de leur côté, utilisent des autoréférences corporelles au moyen d’imitations de l’enfant dans l’entretien même sans verbalisation, pour tenter de décrire ses expressions émotionnelles. Ces imitations sont peut-être des tentatives d’entrer dans le monde énigmatique de l’enfant, dans une recherche de communication. Par ailleurs la prédominance groupale, à rapprocher du concept d’équipe est très présente dans leur discours et dans leur référence professionnelle, permettant de constituer des processus de réassurance.

Des mécanismes de défense visent à mettre à distance l’empathie. On pourrait les rapprocher d’un sentiment de peur et une angoisse par rapport à des identifications impossibles. Ceci nous incite à questionner la notion de partage en interrogeant de ce fait les caractères indifférenciés des liens, dans la fusion ou au contraire la distanciation défensive, voire la fuite de la relation.

Nous avons d’abord supposé que les caractéristiques de compréhension étaient liées à la capacité persistante de l’enfant polyhandicapé à maintenir des modes de communication de bébé, bien au-delà de la petite enfance. Ces compétences découlent probablement de la « dépendance active émotionnelle mutuelle ». Elles sont révélées par la relation empathique, historicisée chez les parents ou tout simplement par la proximité quotidienne avec l’enfant chez les professionnels qui connaissent bien l’enfant. Il s’avère que cette hypothèse reflète imparfaitement le monde du polyhandicapé, en particulier par le fait qu’un bébé enfant et adolescent puisse susciter des sentiments ambivalents. Mais c’est surtout au niveau des perturbations entraînées par les difficultés de correspondances et de liaison entre différents domaines de sensorialités, de perception et de mémoire que s’emboîtent les difficultés. La correspondance entre ces domaines mémo-sensori-perceptifs pose le problème de la constitution de l’image unifiée comme figure possible de l’objet dans la chaîne des échanges. Les mécanismes relatifs à une grande implication émotionnelle nous apparaissent comme étant associés à une fonction désobjectalisante. Les effets de rupture dans la communication, autour du vécu et des modes spécifiques de relation de ces enfants, notamment les difficultés de correspondance entre les gestes, les sons et les regards altèrent la perception par les familiers de la signification des émotions et de leur intentionnalité.