9. 3. 3. Conclusion de la première investigation

Cette étude illustre bien la spécificité des interrelations avec les polyhandicapés, notamment autour des effets qu’il font naître dans une communication émotionnelle. Nous avons pénétré dans un monde inconnu, au cours des entretiens, celui du partage intime des émotions par les familiers de l’enfant. Cette exploration de l’intime s’est révélée bouleversante et a suscité chez nous des mouvements empathiques et une certaine désolation, tant le besoin de parler, de révéler était sincère et confiant. Le traumatisme de la naissance, de la révélation du handicap, la violence suscitée par la présence de ces enfants ainsi que l’impuissance à les aider m’ont tout particulièrement touchée. Le regard des autres, la blessure narcissique étaient plus pudiquement évoqués. Enfin, la peur de l’avenir et l’implication des frères et sœurs étaient aussi des sujets qui se parlaient, tout en dessinant le visage des enfants. Les entretiens étaient enregistrés, au cours des questions définies par avance. Mais la conversation informelle ne l’était pas.

Nous différencions le décodage de la compréhension. Les résultats de cette étude montrent que les mères sont plus aptes à décoder les expressions de leur enfant que les professionnels. Cependant d’autres éléments que le décodage entrent en jeu. Ces autres éléments sont des sources de variations dans la compréhension qui s’articulent autour du ressenti et des éprouvés émotionnels alors organisés et identifiables en compétences.

Nous choisissons d’aller chercher du côté de ces sources de variation de la compréhension en essayant de les comparer en fonction des différents partenaires et des différentes émotions de base.

Les entretiens ont permis de mettre en évidence des perturbations à propos des effets sur les proches des modes de l’expression de l’enfant. Ces perturbations apparaissent liées à la difficulté d’identification à l’enfant qui émet des signaux qui ne prennent pas toujours sens. Les significations en termes d’information ne seraient pas toujours appréciées. Ce malaise des proches de l’enfant est surtout apparent dans les dires des professionnels mais il est aussi sensible dans les paroles des mères qui soulèvent cette difficulté à propos de la détresse et de la souffrance. Les troubles du comportement, liés à des problèmes d’incompréhension interpersonnelle sont évoqués comme modes d’expression émotionnelles kinésiques et sonores. Par exemple, la bouche de l’enfant n’est pas liée à la dimension hédonique, autour du repas, du goût, du plaisir, du baiser. Elle est au contraire objet de fascination, un élément du visage qui empoisonne, refuse de manger, ou au contraire incorpore de façon boulimique, produit des cris déchirants qui exaspèrent.

Cette forme de discordance dans la perception des partenaires entre en résonance avec le vécu des enfants et leur type d’expression inattendu et peu prévisible. Cet aspect indéchiffrable est peut-être en lien avec l’intermodalité déficiente des enfants qui altère les liaisons des sensorialités. Nous concluons cette partie en soulignant le fait que dans la chaîne des échanges, ce que nous apprend l’enfant polyhandicapé, c’est la transmission de ses émotions par les canaux sensoriels et moteurs. Le socle de la compréhension se trouve dans le sensoriel et ne se situe pas dans le rationnel. On peut éprouver cette notion de déliaison, par ce que les enfants font vivre comme état de discontinuité, de désaccordage émotionnel, en effet de feed-back à leur difficulté d’organiser et unifier les domaines sensoriels et perceptifs nécessaires à l’objectalisation des relations et leur intériorisation.

Ces résultats nous conduisent à la construction d’un questionnaire afin d’enrichir et valider les premières conclusions, en initiant une démarche de généralisation. Nous le présentons donc aux parents et professionnels d’un autre établissement de la région lyonnaise qui accueille des enfants ayant les mêmes handicaps. Nous cherchons à mettre en évidence l’importance de certaines dimensions, en tant que sources de variation dans le domaine de la compréhension des états émotionnels des enfants polyhandicapés.