CHAPITRE 2. Approches du témoignage 

2.1. Le témoignage à la croisée des savoirs

Le concept de témoignage se trouve aujourd’hui à la croisée de différents champs théoriques, tels que l’Histoire, la Philosophie (herméneutique, philosophie du langage, du droit), la Sociologie et la Littérature, aussi bien que de pratiques sociales distinctes comme la justice et la religion. Plus spécifiquement, la deuxième moitié du XXe siècle constitue un moment particulièrement fécond de réflexion à son sujet, une période de résonance d’une pensée du témoignage, au point d’être qualifiée comme d’« ère du témoin » 93 . Cet objet majeur de la pensée s’il « a du mal au littéraire » il est en même temps potentiellement à même de remettre en cause l’existence d’une idée essentialiste du fait littéraire. Bien que nous soyons dans ce que Catherine Coquio appelle « une culture du témoignage » 94 , ses définitions restent encore prises dans des apories multiples qui empêchent une systématisation à laquelle probablement le témoignage même fait résistance.

Si l’appréhension du concept de témoignage est rendue difficile par la polysémie du terme même, un élément transversal existe pourtant ; le trait d’union qui lie le témoignage à un questionnement éthique à partir d’une spécificité expressive peut trouver place au cœur du littéraire, en faisant appel à sa redéfinition actuelle. Le renouveau d’intérêt que de récentes études ont montré à son sujet, par différentes approches, met en relief avant tout une idée de « valeur » inséparable du témoignage, même dans l’aporie de son dire « vrai ». Témoignage et mensonge courent en effet sur la même ligne et posent, par ce voisinage, des questions pertinentes aux définitions de la littérature par le factuel et le fictionnel : à la possibilité de ce dernier de dire vrai et à la possibilité de faire partie de la littérature pour le premier. Au dessous, se pose le problème du rapport entre la valeur et la littérature : si elles ne se fondent que rarement dans l’idée d’une valeur littéraire du témoignage, elles creusent néanmoins un questionnement réciproque.

C’est pour autant que réfléchir au témoignage nous conduit à parcourir (même dans un terrain qu’au début de notre recherche nous pensions neutre) un chemin non balisé où s’érigent les points de repères du « littéraire » et d’un littéraire « d’exception ». Son existence traduit un système hiérarchique où la « pure » réflexion de théorie littéraire est confrontée, entre autres choses, à l’éthique de sa démarche par la question de l’élection de ses objets et des raisons de ses exclusives. Il faudrait alors repenser le décalage entre littérarité et témoignage, toujours évoqué ou conjuré dans les travaux plus récents, à l’aune d’un système hiérarchique à l’œuvre dans la réception littéraire des témoignages.

Notes
93.

Wieviorka, Annette, L’Ere du témoin, Paris, Plon, 1998. La proposition revient aussi chez Elie Wiesel.

94.

Coquio, Catherine, op. cit., p. 31 : « Il faut, s’il existe aujourd’hui une culture du témoignage, en prendre acte non sur un mode uniquement sociologique, mais en en recueillant cette pointe autocritique telle qu’elle se manifeste dans les constructions littéraires les plus réfléchies. Ces textes là, braqués contre eux-mêmes en tant qu’héritages culturels, (…) sont aussi ceux où s’entend le mieux résonner la voix du témoin « intégral » ou silencieux. ».