Comme dans le mythe de Caïn et Abel, il est question ici de bannissement, de vie exposée à la mort et de fondation d’une nouvelle cité. Habel, chassé par son frère, fonde une « citadelle » de la connaissance bâtie sur l’errance et le bannissement. A la différence de celle de son frère, elle « comprend », elle dépasse la logique de l’inclusion-exclusion pour aller vers la compréhension :
‘« Moi aussi j’en ai une à présent [de vérité] et je l’ai trouvée malgré vous. Une vérité qui a déjà sur la vôtre l’avantage de la comprendre, une vérité qui voit comme si elle y était la citadelle où la vôtre s’est installée, et barricadée » (176). ’Avant d’entrer dans le vif de la mise en perspective des deux récits, il est utile de signaler d’abord une différence entre le mythe littéraire – qui, en littérature, désigne des écritures successives d’un récit – et le récit fondateur présent dans les textes religieux. A la différence d’autres mythes, celui de Caïn et Abel appartient au patrimoine des religions vivantes et pour autant il n’a pas perdu son caractère sacré : dans l’Ancien Testament, il occupe le chapitre 4 de la Genèse, et dans le Coran, l’histoire des fils d’Adam apparaît dans la Sourate V (Versets 30-35). Le caractère sacré du récit n’a pas empêché de multiples réécritures ; au contraire, son style elliptique a suscité la recherche de réponses à toutes les questions laissées ouvertes par les textes religieux. Chaque époque a projeté sur le mythe une actualisation de la symbolique du fratricide : convoquer l’histoire de Caïn et Abel, c’est se confronter au caractère mystérieux et incompréhensible du mal, à son omniprésence.
‘« Le renouvellement du mythe de Caïn et Abel est présent en des pays et en des œuvres plus nombreux […]. L’apparition du thème nietzschéen de la surpuissance, la naissance de la psychanalyse l’aideront à entrer dans la grande histoire : les guerres mondiales, la guerre d’Algérie, posent en des termes nouveaux les questions de la jalousie, du mal absolu, de l’utilisation bonne ou mauvaise du progrès technologique » 106 ’Dans le récit biblique, il est narré que les fils d’Adam et Eve, l’un cultivateur du sol et l’autre gardien de bétail, présentent leurs offrandes à Dieu, lequel « agréa Abel et son offrande mais il n’agréa pas Caïn ». 107 Caïn, pris par l’ire, invite son frère à le suivre « dehors » où il se jette sur lui et le tue. Interrogé par Dieu au sujet d’Abel, « où est ton frère Abel ? », Caïn répond : « Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ? », la phrase qui dans Habel constitue l’insertion intertextuelle la plus directe avec le récit biblique. Caïn, ainsi investi par le châtiment de Dieu, qui le bannit du sol fertile, 108 clame que sa punition est trop lourde et qu'il risque d'être tué par le premier venu. Il sera un errant parcourant la terre, cependant protégé de la violence des autre par un signe que Dieu met sur lui, « à fin que le premier venu ne le frappât point ». Il construira ensuite la première ville, Hénok (Hénochia).
Le récit du Coran est plus bref et les noms des fils d’Adam ne sont pas mentionnés. Néanmoins, ils le seront dans l’exégèse qui a suivi (Hābīl et Ķābīl) 109 . Au niveau du contenu, les différences substantielles avec le récit biblique sont la présence d’un dialogue entre les deux frères (Abel est silencieux dans le récit biblique), le remords de Caïn, une représentation moins emblématique de la miséricorde divine. Le Coran relate aussi que le meurtrier fut instruit par l’exemple d’un corbeau de la manière de faire disparaître le corps de sa victime :
‘« Puis Allah envoya un corbeau qui se mit à gratter la terre pour lui montrer comment ensevelir le cadavre de son frère » 110 ’Comme l’on a vu, la figure du corbeau revient dans l’épisode de la mort échappée à caractériser un des multiples semblants de la personne au volant de la voiture :
‘« Si cette tête avait seulement pu s’évader de sa cage de verre. Si elle avait seulement pu en sortir armée de sa seule aile, une aile de corbeau déplumée, et me bouffer avec ses seuls yeux, des yeux en ventouses. Mais ça n’aurait pas suffi. » (24)’Dans Habel on pourrait ainsi penser à un entrecroisement des deux récits qui unit le silence d’Abel de la tradition biblique au dialogue de la version coranique : Habel est à la recherche des mots, dans « l’horizon à quoi les incendies ont pris leur feu » (11) et il parvient à trouver « sa vérité » s’adressant au frère. La chaîne métaphorique du feu qui exprime la quête de Habel, marque aussi une différence entre les deux frères. Caïn est forgeron (selon le signifié attesté par son nom en arabe), 111 il détient un savoir technique du feu, tandis que la caractérisation de Habel le rapproche du poète voleur de feu et côté sacré du langage dont le récit biblique montre sa disparition jusqu’à la génération de Seth, le fils qui remplace Abel : « Dieu m’a accordé une autre descendance à la place d’Abel, puisque Caïn l’a tué » 112 . Dans l’Ancien Testament est dit que c’est depuis le fils de Seth, Enosh, qui signifie « humain », que l’« on commença à invoquer le nom de Yahvé ». Le signifié du nom de celui qui adresse sa parole à Dieu nous fait penser à un retour de l’humain qui, dans la lutte entre les deux frères, s’était absenté.
Dans le Coran, le passage qui traite de la vie exposée à la violence est encore plus énigmatique que dans la Bible mais bien présent :
‘« Quiconque tuerait une personne non coupable d'un meurtre ou d'une corruption sur la terre, c'est comme s'il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui fait don de la vie, c'est comme s'il faisait don de la vie à tous les hommes » (32). ’Abel n’est pas seulement le cadet, mais comme son nom l’indique il est «vanité », en hébreu, « ce qui n’a pas de consistance ». De plus, il n’est pas nommé comme fils par sa mère : il est défini uniquement comme le « frère » de Caïn.
‘« Abel n’est, au yeux de sa mère, que le frère du premier. Il semble n’être que la simple continuation de son frère. En face de Caïn, il ne compte pas vraiment. Ainsi sa mère n’a pas une parole pour lui. Et le nom qu’il reçoit dit ce qu’il représente » 113 . ’C’est pourquoi, le caractère de minorité d’Abel on le déduit moins par la symbolisation du bien qu’il porte en lui (c’est le mal qui génère le discours) que par le silence. Cette absence de paroles autour d’Abel, dans le Coran est seulement dans le sens des mots reçus : Caïn ne lui adresse aucun mot, mais Abel lui parle avant d’être tué 114 ; dans le récit biblique le silence est dans les deux sens : il ne dit rien et personne ne lui dit rien.
Conformément au récit biblique, dans la réécriture littéraire du mythe (dans la littérature française) on peut remarquer un statut de « minorité » caractérisant Abel face à Caïn. Elle privilégie le discours autour de Caïn pour questionner, à travers lui, l’accomplissement du mal. Abel figure comme son double silencieux et énigmatique. Pourrait-on voir dans cette « minorité » qui est avant tout un silence de et sur Abel un élément de préférence de l’auteur pour la construction du protagoniste de Habel ? Il nous semble important de souligner que dans la représentation du héros migrant de Dib la trace qui reste plus présente de ce mythe est celle de la figuration de Abel/Habel comme de la vie exposée à la mort. Abel dans le récit sacré, comme Habel dans le roman, est la représentation de cette fragilité de la vie nue soumise à la violence de l’autre. Le silence initial de Habel rappelle aussi la condition de Abel, duquel le récit biblique ne rapporte que le silence. Pour le reste, la couche mythique est en grande partie fonctionnelle pour la figuration de la présence du mal sur terre par une hybridation des rôles des deux frères qui représentent ainsi un couple structurant. L’homme qui se dessine dans Habel est saisi dans l’ambivalence entre la nature de Caïn et celle d’Abel : il est « cainique » et « abelique » à la fois. Cette hybridation est soulignée par plusieurs retournements du récit mythique, à partir de l’utilisation du mot « frère ». Comme on l’a dit, dans le récit biblique, « le frère » est Abel, qui n’a pas d’autres désignations. C’est justement cette non-énonciation du nom qui signe l’injustice aux yeux de Dieu qui, au moins selon une certaine interprétation, pour rétablir une parité entre les deux frères aura la préférence pour le sacrifice d’Abel, ce qui engendrera la jalousie de Caïn. Dans le roman de Dib, par contre, c’est Habel qui s’adresse à un Frère sans d’autres noms.
Un autre détournement a lieu au sujet du meurtre. Habel est entouré dans la ville démoniaque par une multitude de Caïns mais il ressent, lui aussi, le désir de tuer. Dans une des scènes où Habel subit l’inhumain de la ville occidentale, la foule est décrite comme une marée noire en train de le tuer par son indifférence et sa férocité, foule des Caïns, avec leur marque sur le front qui les distingue et les aplatit à la fois les ramenant au premier fils de l’homme fratricide :
‘Il ne voit plus que la marée noire, n’a que cette marée devant les yeux, qu’il en crève ou est sur le point de le faire, mais pas ceux-là pendant ce temps, une foule anormale, une accumulation de gens (…). Tous ceux qui vont, passent aussi nombreux, aussi pressés, aussi indifférents mais, marqués au front, se ressemblent encore plus à cause de ça mais pas seulement, mais davantage parce qu’ils ne sont pas près de s’en apercevoir tandis qu’il crève lui de son envie de gueuler, qu’il reste avec son envie de gueuler. Pensant : si au moins c’était pour quelque chose. ’ ‘Qui attend. Qui expose de nouveau sa vie. (36)’D’une façon spéculaire à sa condition de victime de l’indifférence, vers la fin du roman quand la Dame de la Merci après l’acte sexuel lui offre de l’argent, il est envahi, comme un Caïn, par l’idée tranchante du meurtre. Cette pulsion de meurtre est annoncée déjà avant, par une phrase détachée dans le blanc de la page : « Le meurtre est en moi » (149), Habel aurait pu être la victime et aurait pu être aussi le meurtrier :
‘« Encore ici. A ce carrefour. J’y reviens comme un assassin sur les lieux de son crime. (…) s’il n’est pas du tout question d’assassin, il est au moins question d’un qui aurait pu y laisser sa peau, je dirais même : aurait dû » (33)’C’est à l’adresse de son frère qu’il formule son désir homicide :
‘L’image de son frère se présenta encore à son esprit, il pensa, il se dit, comme si ce dernier était dans la pièce et pouvait vraiment l’entendre : alors, il faut la tuer ? (…) sur place, tout de suite ? Une pensée, une hache qui tombait avec son froid, sa glace. (…) Habel se dit encore, et en lui s’éleva un immense cri, une clameur qui monta jusqu’au ciel : je peux ! Je peux la tuer comme un chien ! (171) ’Si chaque époque dans sa réécriture du mythe projette sa réalité la plus vive 115 , cette hybridation de notre héros entre Caïn et Abel trouve une raison valable dans le dédoublement des rôles cainiques et abeliques de l’entre-deux national de référence. Le fratricide, inscrit dans le mythe, se trouve ici réfracté par une pluralité d’actes, d’événements et de circonstances. Si le meurtre est métaphorisé dans l’ordre de partir, il faudrait se demander alors « qui chasse qui ? ». Caïn n’est pas que le frère algérien qui a chassé ses cadets, les « laissant partir » : les accords en matière de migration étaient bien bilatéraux. Un double rejet est donc ici en question : Habel porte sur lui le sentiment de culpabilité 116 de l’acte accompli par son frère (l’ordre de partir) face au frère français :
‘Comme un assassin qui retourne invariablement sur les théâtre de ses forfaits, sans être l’assassin. Comme un assassin, en me disant : les mêmes choses aux mêmes endroits. Je reviens à ce carrefour, je rôde, je me plante comme cet assassin, soir après soir. (43)’Et, sur le sol français, qui a participé autant que l’Algérie à l’accomplissement de l’ordre, il est un homme exposé à la mort, non seulement celle symbolique qui tient à la dimension identitaire mais aussi à celle du contexte des violences des années 70, pendant lequel le roman a été écrit 117 .
‘Question de celui qui aurait pu ou dû, peu importe, y laisser sa peau et qui attend (…) et qui expose de nouveau sa vie. (35)’ ‘Autos, individus de tout acabit, passantes. N’importe quoi. Mannequins dans les vitrines enseignes, affiches, masques, tous ces masques. Il les regarde. Il ne fait que ça. (…) Pensant : si au moins c’était pour quelque chose. (36)’ ‘Qui attend. Qui expose de nouveau sa vie. (37) ’ ‘Qui tout nu affronte de nouveau la solitude, la férocité (38)’Habel prenant sur lui la responsabilité du frère mélange les deux rôles que le mythe tient à séparer, transformant l’opposition en synthèse contradictoire dans laquelle se dessinent les traits d’une subjectivité nouvelle inscrite dans l’homme migrant. Ce qui le différencie de la tradition littéraire française. En effet, l’hybridation que Dib met en place s’opère aussi au niveau de la représentation qui, tout en mélangeant la dimension mythique au « surnaturel » (voir par exemple les apparitions de la l’Ange de la mort) inscrit la problématique de Caïn et Abel dans la sphère, toute humaine, de l’étique et de la citoyenneté. Dans la littérature française, par contre, ce dernier discours a lieu à travers la disparition de Dieu. D’après Hussherr, à partir du Romantisme, Caïn intériorise la descente aux enfers, ce qui coïncide avec une rencontre de la folie et la disparition de la sphère surnaturelle :
‘« Chez Hugo, Baudelaire et Bloy, Caïn fait l’expérience de la descente aux enfers de l’âme. Cette intériorisation qui mène à la folie annonce la disparition de la sphère surnaturelle : la rivalité des frères, la culpabilité de l’un ou de l’autre, sont affaire humaine (…) Cette opposition humaine acquiert une valeur telle que la sphère surnaturelle disparaît. Il appartient désormais à la société de déterminer qui est Caïn et de le punir. Ce droit sur les individus de la société et de la justice, qui se substituent à Dieu, renforce la différenciation des frères » 118 ’Notre Habel en tant qu’homme migrant – dépouillé de son histoire, de ses racines, sans attaches 119 – est un homme nouveau qui se dit dans la contradiction des temps : « peut-être le dernier d’une ère, peut-être au contraire l’annonciateur de temps nouveaux » (176). Cette subjectivité nouvelle se dessine dans l’hybridation, où celle culturelle de notre lecture présente s’inscrit au niveau du croisement des deux récits mythiques et aux détournements opérés par Dib. La notion de sujet qui se détache de ce fond hybridé ne se définit plus à travers des oppositions qui tranchent sur qui est Abel et qui est Caïn, mais dans la confusion d’un homme qui, ressentant tout et l’expérimentant, est en quête de son identité qui ne se fait pas par procuration de la responsabilité indiquée. Comme le laisse entendre Hussherr, à la fin de son essai sur le mythe littéraire de Caïn et Abel, si l’on peut imaginer un Caïn actuel, il serait gêné par la présence d’un double qui lui ressemble trop ou, au contraire, qui reflète ce qu’il voudrait être : il serait irréductiblement engagé dans une quête d’identité l’entraînant vers un nouveau pays de Nod, ouvrant son devenir à l’imprévu 120 . Ce Caïn, Dib a choisi de l’appeler Abel, un choix non anodin quant à l’éthique et à l’interrogation du silence par une subjectivité qui se dessine en s’exposant à l’événement au pays de l’errance (le Nod) 121 .
Hussherr, Cécile, L’ange et la bête, Paris, Cerf, 2005, p. 12.
Bible de Jérusalem, Gn 4, 5.
« Sois maudit et chassé du sol fertile qui a ouvert la bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère », Gn 4, 12.
Voir par exemple Tabari, Muhammad ibn Yazid, La Chronique : histoire des prophètes et des rois, Arles, Actes Sud, 2001.
Coran, V, 31.
« Caïn viendrait de l’hébreu Qayn, qui signifie « forgeron » en arabe. Ce mot est proche du verbe hébreu Qanah, « acquérir » qui permet ainsi un jeu de mot en Gn 4,1. Caïn a peut-être donné son nom aux Qénites, population qui occupait Caan avant l’arrivée des Hébreux. Abel vient de l’hébreux Habèl ou Hèbèl qui signifie « fumée, vanité », ce qui n’a pas de consistance, d’importance. », Wénin, André, « Le meurtre d’Abel », in : Biblia n. 10, juin-juillet 2002, Quand Caïn tue son frère, p. 11.
Gn 4, 26.
Wénin, André, « Le meurtre d’Abel », in : Biblia n. 10, Quand Caïn tue son frère, juin-juillet 2002, p. 11. L’exégèse chrétienne explique la préférence de Dieu pour Abel comme un geste pour rétablir la justice altérée par la préférence injustifiée qu’Eve accorde à l’aîné : « L’injustice apparente compense une injustice établie. Tel est peut-être l’un des fondements de la préférence de Dieu pour ce qui est petit », Ibid., p. 12.
Dans la sourate V du Coran (v. 28,29,31), Abel dit à son frère : 28 « Si tu étends vers moi ta main pour me tuer, moi, je n'étendrai pas vers toi ma main pour te tuer : car je crains Allah, le Seigneur de l'Univers. » 29 : « Je veux que tu partes avec le péché de m'avoir tué et avec ton propre péché : alors tu seras du nombre des gens du Feu. Telle est la récompense des injustes. » Et Caïn après le meurtre : 31. Il dit : “Malheur à moi ! Suis-je incapable d'être, comme ce corbeau, à même d'ensevelir le cadavre de mon frère ? ” Il devint alors du nombre de ceux que ronge le remords.
Dans une optique d’intertextualité, l’on pourrait voir dans Habel, ne serait-ce que par le titre, une réponse ouverte à la nouvelle de Camus « L’hôte », qui a failli s’intituler « Caïn ». Ici l’histoire de Caïn et Abel est entièrement projetée dans les relations conflictuelles entre Algériens et pieds-noirs dans l’Algérie coloniale. La nouvelle décrit en plein jour la situation de vie exposée à la mort de celui qui a commis un crime et de la relative liberté à exercer ou pas la violence sur lui (le principe exprimé dans le Coran de « faire don de la vie », largement développé par G. Agamben). Un pied-noir est chargé par un gendarme de garder et de conduire au poste de police un Algérien qui a tué son cousin. Il voudrait l’aider à se sauver mais il n’y arrive pas parce que la communication leur est impossible. La nouvelle est contenue dans le recueil L’exil et le royaume, rédigé entre 1952 et 1956.
Ici l’on pourrait réfléchir sur la différence entre la honte et le sentiment de culpabilité. C. Bonn parle de honte comme d’un élément qui participe au silence sur la migration, F. Rastier, (154) l’analyse dans le discours de Primo Levi dans le témoignage des camps. Il explique que la honte est de tous face à l’avènement du mal, pour le témoin c’est la honte d’avoir vu l’autre mettre en oeuvre le mal (pour Levi, la honte du juste) ; la culpabilité est des bourreaux. Par contre le sentiment de culpabilité reste indéfini. Le discours sur l’erreur, qui tient une place importante dans Habel, est assumé par le protagoniste qui en porte le poids au point de réaliser sa dernière action sous la forme d’un geste de réparation.
La décennie 70 pendant ses premières années est marquée par une série d’attentats racistes. Charles Bonn dans « Le voyage innommable du lieu du dire : émigration et errance de l’écriture maghrébine francophone »indique une raison dans la nationalisation des pétroles en Algérie (1971). Il reste un fait que l’actualité de la violence contre « l’immigré » ne cesse d’être actuelle.
Hussherr, Cécile, L’ange et la bête, Paris, Cerf, 2005, p. 205.
p. 176.
La phrase qui clôt son essai semble bizarrement ouverte à la problématique identitaire liée à la migration postcoloniale : « Caïn est désormais en quête de son identité. Cette quête l’entraîne vers un nouveau pays de Nod, qui ouvre son devenir à l’imprévu… », Hussherr, Cécile, op. cit. p. 206.
Nod, en hébreu, signifie littéralement pays de l’errance. (Voir : Klagsbald-Sigal, Laurence, « Le juif errant, nouveau Cain », Biblia, op. cit, p. 43.)