2.2.2.2. La double illustration

Dans l’imbrication de la formulation d’une hypothèse scientifique avec le témoignage, les impuissances individuelles vont assumer des signifiés complexes : elles vont signifier autre chose. Cette métamorphose se retrouve dans l’agencement des récits « illustratifs », comme ceux de l’itinéraire des malades, (où nous avons déjà remarqué le glissement de l’« itinéraire thérapeutique » dans le « long et douloureux itinéraire de l’incertitude et de la souffrance », cf. « absence de cadre factuel »). Cet itinéraire, illustré par l’agencement des récits de A.S, Y.L., L.B., montre sa double nature : à la fois général mais aussi individuel. Cet indice de la construction narrative renvoie à la structure complexe extensible à tout le texte où la constante est parasitée par la différence.

Parmi les étapes de cet « long itinéraire de la souffrance », en allant consulter l’immigré est confronté au diagnostic d’impuissance sexuelle qu’il peut admettre ou non. S’il ne l’accepte pas, il continuera à consulter pour une souffrance qui est imputée à d’autres raisons. Ben Jelloun utilise pour ce dernier cas cette tournure : « à partir de la constatation d’impuissance, le patient se trouve des justifications organiques et s’en va consulter des médecins non pour son impuissance, mais pour quelque chose d’autre (réel ou imaginaire), comme dans le cas d’Y.L. », (39). L’enchaînement du récit relatif à Y.L. a la fonction d’illustrer en même temps deux discours qui s’ébauchent à partir de ce « quelque chose d’autre » : celui du consultant et celui de l’auteur. Dans le discours que Ben Jelloun tisse en toile de fond, l’impuissance est le signe d’un malaise social qui trouve son origine dans la violence coloniale et capitaliste, mais ce discours se compose graduellement : ici l’attention est concentrée sur la souffrance de l’immigré et son lien au décalage culturel.