3.2. Du témoignage au fragment

Robert Elbaz a appelé micro-récits ou micro-biographies les vingt-quatre histoires des consultants. 43 . En effet, chaque citation de la parole rapportée met en scène une histoire de vie singulière : on pourrait alors plutôt parler de micro-récits de vie, mais comme ils ne visent pas le récit de toute une vie, ni d’ailleurs l’histoire complète de la maladie, il nous semble plus pertinent de parler de fragment. Pour bien asseoir les définitions et distinguer les différents statuts de la parole rapportée, il faut en effet séparer deux objets : l’histoire de chaque consultant et la citation du consultant. Le premier (histoire) se compose des analepses et prolepses du narrateur, de ses explications sur lesquels se greffe la citation du consultant qui vient compléter la narration. Nous allons appeler cette citation « fragment », en tant qu’elle offre une prise de vue sur la parole « brute », telle quelle se présente isolée du reste sans l’être complètement et dotée d’une certaine autonomie. Les récits des consultants ne sont pas toujours linéaires, c'est-à-dire que dans la plus grande partie des cas ils ne suivent pas la logique de causalité tenue par le narrateur.

« Cela fait dix-huit ans que je suis au service de la France. Aucune récompense, au contraire. Mon corps malade. Il va falloir repartir chez moi et recommencer tout. Mais c’est difficile…Au revoir… » (165)

Quand des ellipses interviennent, comme dans cette citation, elles ont pour effet d’estomper la didactique du propos : « Aucune récompense, au contraire. Mon corps malade. ». Par la place isolée qu’elle tient au cœur du propos, la phrase amputée du verbe : « Mon corps malade » résonne dans ce passage et par là dans l’ensemble du texte.

Cette façon d’être en saillie de la parole rapportée, de se détacher de l’ensemble narratif, permet de visualiser le pouvoir de résistance de la parole de l’immigré, qui est à la fois prise dans la toile narrative et indépendante en même temps.

Notes
43.

Elbaz, Robert, op.cit., p. 92.