A l’intérieur du discours de sciences humaines présent dans le texte, celui à caractère sociologique développe une vaste digression sur la société maghrébine. Le discours sociologique permet de faire voir, à l’intérieur du système culturel maghrébin, l’ampleur du désarroi causé par l’impuissance.
La description du système patriarcal montre ainsi que la perte de pouvoir liée à l’impuissance sexuelle déconstruit tout le moi social de l’immigré : « perdre ce pouvoir, c’est perdre son statut social et sa raison d’être dans une société où il n’y a pas de place ni de rôle pour un homme « mutilé » sexuellement.(…) L’impuissance est aussi perte d’identité et de vie » (64).
L’image de la mère permet de mettre à jour la portée de la honte de l’immigré qui avec son impuissance trahit ce que la mère a investi en lui. Si, comme l’explique l’auteur, la « parole de la mère est dans la procréation » (102), l’immigré trahit surtout la parole de la mère, qui s’impose comme « le grand refoulé » (98) pour l’immigré coupable d’avoir quitté la mère-patrie « comme on quitte sa propre mère » (67). La description de l’homosexualité, quant à elle, sert à explorer l’alternative possible pour un homme atteint d’impuissance de ne pas perdre toute possibilité de vie sexuelle ; la masturbation comme redécouverte d’une relation à soi et à son corps par la réactivation de la faculté à imaginer.
Si le discours sociologique permet de sortir du silence certains sujets de la culture maghrébine, est cependant relativisé depuis le début pour expliquer le trouble d’impuissance :
‘« Bien évidemment, l’origine d’un trouble sexuel peut se situer fort loin dans l’histoire du patient. Même dans les cas d’impuissance secondaire et partielle, nous soupçonnons le passé et l’interrogeons. Pourtant, dans l’ensemble des cas que nous avons suivi, nous avons constaté, que, même si le trouble était latent, c’est en France, avec l’immigration, qu’il se déclare. Les structures de la société maghrébine participent aussi de la réalité du trouble, mais c’est le milieu d’accueil, riche en facteurs pathogènes, qui aide à déclencher la crise. » (25)’Dans la logique de la démarche de la recherche - la psychiatrie sociale s’attachant à définir une maladie dans son milieu socio-culturel - le discours sociologique devrait permettre la connaissance du mal dont souffre l’immigré maghrébin en France. En réalité il sert surtout à montrer les effets relatifs à la perte de pouvoir que l’impuissance implique. Il tient une place secondaire dans la logique de l’auteur même quand celui-ci parle en qualité de psychiatre social :
‘« Il y aurait des causes inhérentes aux structures psychiques de l’individu, liées à l’univers culturel, symbolique et religieux de la société d’où il vient. Elles peuvent participer au processus de déclanchement du trouble, mais ce qu’il faut voir, ce sont les facteur pathogènes inhérents au système de l’immigration qui favorisent le déclanchement du symptôme » (73). ’Dans la mesure où, dans la définition du malaise et la recherche d’un soin approprié, est primordial le « présent » du patient, le discours sociologique, descriptif et digressif, sert à mieux comprendre l’univers culturel de l’immigré, mais il n’est pas considéré comme le terrain où s’origine le malaise.
‘« On ne peut mettre entre parenthèses sa condition d’immigré, comme on ne peut effacer de sa mémoire l’époque de la colonisation, ni considérer ses rapports avec la France et les Français comme simples. Nous avons admis l’idée de la latence. Mais le fait est que c’est en France que le trouble se déclare » (105)’Dans ce sens, le discours sociologique devient plutôt l’occasion pour livrer un savoir sur la société maghrébine dont l’autorité est uniquement celle de l’auteur, écrivain maghrébin, qui dans le différend sur la question de la maladie d’impuissance de l’immigré maghrébin, se propose comme intermédiaire, médiateur entre les deux cultures. Le ton apaisé de la description sociologique ne doit pas être confondu avec la neutralité du discours scientifique. S’il donne l’impression d’une certaine objectivité, celle-ci a peut-être moins à voir avec la neutralité scientifique qu’avec celle d’un sujet dont l’écrivain se sent autorisé à parler par l’autorité qui lui vient d’être un écrivain maghrébin. Son discours est en effet très peu cadré dans la référence à la discipline. Dans le cas de l’analyse du statut de la mère, celle-ci est définie en tant qu’ « image » et les références données pour asseoir son discours sur la place de la mère dans la société sont des titres de la littérature maghrébine (97).
Comme l’auteur le montre dans son discours d’ensemble, ce n’est pas en expliquant le système patriarcal ou le statut de l’homosexuel que la réalité de l’impuissance est atteinte. Le discours sociologique est impuissant à dire le trauma qui se manifeste dans l’impuissance sexuelle : « nous n’avons pas à rechercher des causes lointaines et obscures pour expliquer un trouble » (109). L’auteur recourt alors à d’autres modalités de discours et à d’autres figures qui le légitiment.