Le processus de figuration qui structure la représentation de l’immigré tend vers la construction de deux concepts : la victime du trauma et son type de résistance.
Le système métaphorique qui construit l’image de la victime se centre autour de la scission de la personne en deux parties. Ce principe de scission qui produit le processus de désubjectivation est présenté par le biais de l’analogie de l’homme à l’arbre. L’immigré de LPHS est le plus souvent associé à l’image d’un arbre déraciné ; dans les deux cas, les deux parties qui formaient un tout ne sont que des bouts inertes où la sève vitale ne circule plus. Sur cette base, un autre réseau d’images va décliner l’état de scission comme un état qui met la personne entre la vie et la mort. Si la désubjectivation touche tous les immigrés postcoloniaux, chez l’homme malade d’impuissance elle est une blessure manifeste, qui, sans être visible, arrive à bouleverser les rapports à l’autre et au monde en général.
Le monde dans lequel l’immigré est victime d’un trauma est un monde qui a perverti son image : l’auteur y répond par un renversement parallèle. Sa stratégie de résistance se réalise pour contraster la perversion que certains aspects de l’homme immigré ont subi par l’image publique. Les figures de la résistance sont construites par contrastes et paradoxes. Si la victime est un être entre la vie et la mort, sa résistance se fait paradoxalement par la mort. La mort, à l’origine métaphore de l’impuissance, est représentée par l’oxymoron comme liberté : « leur mort, le peu de liberté qui leur reste » (13).
A l’arbre, « support de volupté extatique » 76 , selon l’expression de Rachida Bousta, s’attachent dans l’œuvre de Ben Jelloun une valeur symbolique particulièrement forte ainsi qu’une présence narrative très importante : il est le garant de la mémoire, souvent investi de pouvoirs magiques. Si dans les récits de fiction il est « l’adjuvant d’une quête chez ces êtres refoulés par la société » 77 , dans le témoignage son image vient apporter un « pouvoir de soin », complémentaire au récit. Par le lien indirect que l’arbre entretient symboliquement avec la culture magique, l’image du déracinement revêt une double force pour exprimer le déchirement identitaire : par le déracinement ce n’est pas seulement l’individu qui perd ses attaches culturelles ; avec son arrachement c’est la culture de toute une société qui est mise en danger de disparition. Sans les hommes, il n’y aura plus de culture traditionnelle, il ne restera qu’une plaine sans arbres, « une prairie » qui avance. C’est dans ce sens que nous pouvons entendre le mot « ethnocide » (11), utilisé dans la présentation qui reprend l’image contenue dans l’épigraphe.
Bousta, Rachida, Lecture des récits de Tahar Ben Jelloun, Casablanca, Afrique Orient, 1999, p. 53.
Ibid., p. 53. Il s’agit, plus en général, d’une figure archétypale qui concentre le rapport au monde magique dans la littérature marocaine. Voir à ce propos : Devergnas, Annie, Chiens errants et arganiers. Le monde naturel dans l’imaginaire des écrivains marocains de langue française. Paris, L’Harmattan, 2003.