Introduction de la thèse

La lecture est une activité cognitive relevant d’un apprentissage formel et dont le but est la compréhension d’un message écrit. La simplicité avec laquelle nous lisons tendrait parfois à nous faire oublier à quel point l’apprentissage de la lecture est un processus complexe, nécessitant la coordination de compétences différentes et complémentaires. Il ne suffit pas d’avoir une bonne vue pour apprendre à lire, il faut en effet disposer de capacités attentionnelles, d’un traitement correct du flux auditif, de capacités mnésiques et de capacités de réflexion sur la structure formelle du langage. Cependant, l’enfant apprenti lecteur ne débute pas cet apprentissage vierge de toute connaissance. Au moment précis de l’apprentissage institutionnel de la lecture, l’enfant possède déjà un lexique phonologique développé lui permettant, via une entrée auditive, d’avoir accès à la signification des mots du discours. Il est désormais bien établi que l’apprentissage de la lecture repose sur le développement d’une conscience phonologique. Un nombre considérable de travaux ont porté, durant ces dernières décennies, sur le rôle de la conscience phonologique et, plus particulièrement, sur les représentations phonologiques impliquées dans le décodage phonologique, mécanisme fondamental pour l’apprentissage de la lecture. Les premières études sur l’apprentissage de la lecture avaient pour ambition de mettre au jour des unités universelles de traitement. Actuellement, nous observons une meilleurs prise en compte des différences inter-linguistiques concernant les unités d’apprentissage de la lecture. La langue la plus étudiée est la langue anglaise. Or, il apparaît que cette langue est sans doute la plus irrégulière des langues alphabétiques au niveau des relations grapho-phonologiques. Par conséquent, les processus et les unités de traitement proposés dans la littérature nécessitent d’être étudiés en fonction des particularités de la langue d’apprentissage.

Notre travail se situe dans une perspective psycho-linguistique d’étude du développement de l’apprentissage de la lecture chez l’enfant. Nous nous attachons plus particulièrement à l’étude de la syllabe en tant qu’unité fonctionnelle d’apprentissage de la lecture en langue française. Depuis l’étude séminale de Mehler, Dommergues, Frauenfelder et Segui (1981), l’unité syllabique a été considérée comme une unité pertinente d’analyse du code oral chez l’adulte. Compte tenu de la préséance du code oral sur le code écrit, cette unité pourrait être réinvestie lors de l’apprentissage de la lecture en tant qu’unité intermédiaire de représentation entre le code de l’oral et le code de l’écrit. L’objectif principal de nos travaux est précisément de tester la pertinence de l’unité syllabique en tant qu’unité fonctionnelle de lecture chez l’apprenti lecteur de langue française, et d’apporter une contribution à la compréhension de la dynamique développementale de l’apprentissage de la lecture. Notre second objectif est d’établir une aide informatisée au traitement syllabique destinée aux enfants en difficultés d’apprentissage de la lecture. En langue française, peu de travaux ont porté sur ce domaine. Nous proposons donc d’élaborer et d’évaluer l’impact d’un tel entraînement auprès d’enfants en difficultés d’apprentissage de la lecture.

Les trois premiers chapitres sont essentiellement des revues de questions. Le premier chapitre traite des différents modèles, connexionnistes comme empiriques, qui se sont intéressés à l’apprentissage de la lecture. Nous insisterons plus particulièrement sur les unités postulées comme pertinentes dans cet apprentissage. Nous montrerons également que la question des unités utilisées s’est déplacée sur les prérequis de l’apprentissage de la lecture et le réinvestissement de ces prérequis lors de l’instruction formelle de la lecture. Le deuxième chapitre envisage le rôle de la syllabe chez l’adulte et chez l’enfant, à la fois en modalité visuelle, notamment la reconnaissance visuelle de mots, comme en modalité auditive pour les mécanismes de traitement du flux auditif. Notre conception de l’unité syllabique est proprement psychologique. Nous n’entrerons pas dans les débats linguistiques remettant parfois en question l’existence même de la syllabe. Pour notre propos, nous considérons la syllabe comme une unité phonologique définie par une attaque, un noyau vocalique et une coda optionnelle. D’autres structures syllabiques s’observent dans la langue française, néanmoins les structures consonne-voyelle (CV) et consonne-voyelle-consonne (CVC) sont les structures les plus fréquentes. Nous proposons donc de tester l’effet de compatibilité syllabique à l’aide de ces deux structures syllabiques. Enfin le troisième chapitre envisage différentes méthodes d’aide à l’apprentissage. Nous verrons qu’actuellement les méthodes d’entraînement les plus efficaces reposent sur une présentation audio-visuelle des stimuli d’entraînement. Nous avons déjà souligné le manque d’étude dans ce domaine, c’est pourquoi à l’issue de cette revue de questions nous proposerons notre propre logiciel d’entraînement.

Le quatrième chapitre débute par un exposé de notre problématique et de nos hypothèses. Ce chapitre est entièrement consacré à nos expériences. Une première série d’expériences teste l’effet de compatibilité syllabique à l’aide d’une tâche de détection de cible. Concernant la tâche de détection de cible, nous avons testé l’effet syllabique en modalité visuelle afin d’approfondir les travaux déjà existants (Colé, Magnan, & Grainger, 1999). Nous testons également l’effet de compatibilité syllabique en modalité auditive, ce qui constitue une originalité de notre travail, puisque à notre connaissance il n’existe pas d’étude de ce type en langue française chez l’apprenti lecteur. Une seconde série d’expériences teste, dans un premier temps, l’efficacité d’un entraînement audio-visuel à l’unité syllabique chez l’enfant faible lecteur (« Syllabius 1 ») à l’aide d’un paradigme classique d’entraînement en trois temps : pré-test, entraînement et post-test. Afin de nous assurer de la stabilité des effets d’apprentissage nous avons également mené un post-test différé de six mois. Dans un second temps, nous comparons deux méthodes d’entraînement, établies sur des unités de taille différente, afin d’observer les bénéfices d’un entraînement pourtant sur l’unité syllabique (« Syllabius 1 ») et d’un entraînement portant sur la reconnaissance du mot entier (« Syllabius 2 »). Nous avons de nouveau suivi le paradigme classique d’entraînement en trois temps auquel nous avons ajouté, comme précédemment, un post-test différé. Les études en langue anglaise rapportent des résultats similaires pour les procédures d’entraînement analytique et globale, nous proposons d’observer l’effet de ces deux procédures en langue française auprès d’enfants faibles lecteurs.