1.2.1. Modèle à double fondation (Seymour, 1997)

Figure 1
Figure 1: Modèle à double fondation de Seymour d’après Duncan et Seymour (2000).

Le processeur logographique correspond aux deux étapes de la théorie d’Ehri (1992), l’étape par indice visuel et l’étape par indice phonologique, englobant la phase alphabétique, c’est-à-dire la lecture de mot entier mémorisés. Ce processeur logographique n’est pas à confondre avec l’acception qu’en donnent d’autres auteurs, à savoir une lecture par indices contextuels (Hiebert, 1978 ; Goodall, 1984 ; Gough, et al. 1992). Selon Seymour, le processeur logographique code les mots entiers sur la base de lettres ou de groupes de lettres pouvant aller jusqu’au morphème. C’est pourquoi ce processus est perçu comme fondamental puisqu’il permettrait l’élaboration des processus orthographique et morphographique au fur et à mesure que les mots sont rencontrés, bien que le stockage des mots se fasse sous une forme plus ou moins complète.

Le processeur alphabétique, qui est le deuxième fondement du modèle, consiste en une mise en correspondance systématique des lettres avec les phonèmes. Le rôle crucial de ce processeur est donc l’apprentissage des règles de correspondances grapho-phonémiques qui permettent l’élaboration du processeur orthographique. Les mots nouveaux pouvant alors être lus par assemblage.

Le processeur orthographique est conçu comme une structure élaborée via l’acquisition de la lecture et de l’orthographe conjointement.

La conscience linguistique pose la question de la forme de segmentation en fonction du niveau de développement. Selon Seymour (1997) il faut distinguer un niveau de segmentation implicite, « naturel » proposant une progression des unités larges (mots et syllabes) vers des unités plus petites (phonèmes) et un niveau de segmentation explicite, résultant de l’apprentissage des correspondances grapho-phonémiques se développant des unités plus petites vers les unités plus larges (Seymour & Evans, 1994). Sous l’effet de l’enseignement alphabétique, la conscience phonologique se développe à partir de la prise en compte d’une correspondance entre les unités lettres (les graphèmes) et les phonèmes, qui est le passage obligé pour la construction du processus orthographique. Seymour compare ce parcours à la structure hiérarchique de la syllabe. Partant de la syllabe, Seymour subdivise successivement les différents composants syllabique selon leur niveau : attaque (groupe consonantique initial) et rime (voyelle et consonne(s) suivante(s)), ce qui constitue le niveau 2D. Puis au niveau 3D l’attaque donne lieu directement au niveau phonémique, tandis que la rime se subdivise en noyau pour la voyelle et en coda pour la ou les consonnes terminales. Noyau et coda donnant lieu également au niveau 3D à une représentation phonémique (voir Figure2).

Figure 2
Figure 2 : Développement de la conscience phonologique selon Seymour (1997)

L’acquisition de la lecture-écriture suivrait ainsi un parcours partant des unités phonémiques à la syllabe jusqu’au mot entier. Seymour ajoute une deuxième forme de conscience linguistique concernant le processus morphographique, intervenant dans des étapes plus tardives et pour des mots plus complexes, plurisyllabiques ou porteurs d’affixes. La structure orthographique se développe dans le temps sous l’action conjuguée de trois stades : stade central, intermédiaire et avancé. Bien que la progression entre ces trois stades ne soit pas précisément définie, le stade qui semble être le plus important est le stade central. En effet, ce stade a pour fonction de réorganiser les correspondances grapho-phonémiques « à la lumière de la structure hiérarchique de la syllabe » (Seymour, 1997). Le stade central prend appui sur le processeur alphabétique, permettant de mettre en relation les segments de l’oral avec les segments de l’écrit, en référence au modèle phonologique de la syllabe. Plus précisément, les lettres ou groupes de lettres sont traités en référence à l’attaque, au pic vocalique et à la coda et leur représentation phonologique est mise directement en parallèle avec la structure orthographique. Les mots étant initialement stockés dans le processeur logographique, leur reconnaissance se fait par appariement avec leur forme phonologique. Seymour (1997) fait également l’hypothèse que les mots irréguliers peuvent être lus par ce mécanisme, dans la mesure où un conflit entre leur représentation orthographique et leur prononciation générerait une trace spécifique dans le processeur orthographique, trace permettant au système de reconnaître l’irrégularité et de la traiter en conséquence. Le processeur orthographique peut ainsi rendre compte de la lecture de mots comme de pseudomots. Enfin, le processeur orthographique serait doté d’une capacité de généralisation, amenant à terme à la lecture experte, c’est-à-dire ne rendant plus le passage par le décodage séquentiel obligatoire. Le développement des stades intermédiaire et avancé est similaire au stade central. Ils contribuent à la prise en charge de structures orthographiques de plus en plus complexes et permettent également de rendre compte de la variabilité interindividuelle au cours de l’apprentissage de la lecture. Seymour précise que le développement précis du processeur orthographique n’est pas connu (p.397), mais que sous l’effet de l’enseignement les stades peuvent être différemment impliquées dans la spécialisation du processeur orthographique en fonction des apprenants.

Le second processeur ajouté par Seymour (1997) est le processeur morphologique. Ce processeur intervient après le processeur orthographique et intègre la structure morphologique des mots. En lien avec la conscience linguistique, le processeur morphologique spécifierait les liens entre la représentation orthographique et certains segments présentant un statut morphémique, pour les mots plurisyllabiques ou morphologiquement complexes. Seymour et Evans (1994) ont montré que des enfants de 7 ans avaient effectivement des difficultés à orthographier les mots morphologiquement complexes, d’où la nécessité d’introduire le processeur morphographique à un niveau de développement avancé. Cependant, il semblerait que la capacité d’analyse morphologique se mette en place non pas à un niveau avancé de l’acquisition de la lecture mais bien plus tôt avant même l’apprentissage de la lecture (Colé, Marec-Breton, Royer & Gombert, 2005).

L’avantage du modèle à double fondation de Seymour (1997) est qu’il ne préconise pas une séquentialité stricte ni entre les différents processeurs, ni dans l’ordre de développement des fondations. Alors que pour Frith (1985) le stade alphabétique succède au stade logographique, pour Seymour (1997) le processeur logographique et alphabétique se construisent conjointement. Ce sont ces deux processeurs qui permettent l’élaboration d’un processeur orthographique par l’intermédiaire des représentations segmentales phonologiques issues du processeur alphabétique. Le processeur orthographique se développerait ensuite selon une comparaison avec la hiérarchie syllabique : proposant un trajet développemental des petites unités (phonèmes) vers des unités plus larges (syllabes, morphèmes, mots). L’un des intérêts de ce modèle est d’avoir proposé une typologie des unités impliquées dans l’apprentissage de la lecture et un parcours développemental dans leur utilisation par l’apprenti lecteur. Il offre par ailleurs une plus grande précision sur le développement de l’habileté de lecture que les « simples » stades.