2.3.2. Une étude inter-langue

L’étude de Duncan, et al. (2006), a testé l’hypothèse d’une séquence développementale, supposée générale quelles que soient les langues. Cette hypothèse stipule une progression des unités phonologiques les plus larges vers les unités phonologiques les plus petites (Metsala, & Walley, 1998 ; Treiman, 1987). Cette étude est particulièrement intéressante dans la mesure où elle offre une comparaison entre deux langues réputées opposées du point de vue de leur rythme respectif : l’anglais et le français. En effet, l’anglais est tenu pour le prototype des langues dites à rythme accentuel et le français pour celui des langues dites à rythme syllabique.

Les auteurs ont comparé les performances d’enfants anglais et français avant et après apprentissage de la lecture au cours de deux tâches, une tâche de segmentation de mots et une tâche de détection d’unités communes. Les résultats ont montré une constance dans la segmentation des enfants français conformément au principe de l’attaque maximale, pour la deuxième syllabe du mot. En revanche, les enfants anglais ont montré une segmentation davantage fondée sur l’accent. Les patterns de réponses, très différents entre enfants anglais et français, sont néanmoins conformes à la prosodie de chacune des langues et confirment l’hypothèse selon laquelle le développement des compétences métaphonologiques est dépendant du rythme et des contraintes phonotactiques propres à chaque langue (Gombert, 1992).

Pour la tâche de détection d’unités communes, les résultats entre enfants français et enfants anglais ont de nouveau montré une différence en fonction de l’unité à détecter : syllabe, rime ou phonème. Pour les enfants français la syllabe était l’unité la mieux détectée à quatre, cinq et six ans, avec une émergence du phonème à six ans, sous l’effet de l’enseignement. Pour les enfants anglais, le phonème était l’unité la mieux détectée à quatre, cinq et six ans. La rime et la syllabe n’émergeaient qu’à partir de l’âge de cinq ans, sans toutefois atteindre le niveau du phonème.

La conclusion de ces deux études est que les différences des performances entre enfants anglais et français par rapport à l’unité syllabique ressort des caractéristiques linguistiques propres à chaque langue et invalide l’hypothèse d’un parcours développemental universel des unités larges vers des unités plus petites. En revanche, pour les enfants anglais comme français, la conscience phonémique émerge sous l’effet de l’instruction formelle de la lecture, à cinq et six ans respectivement. Le comportement des enfants français est néanmoins révélateur de l’importance de l’unité syllabique inhérente au rythme de la langue française et laisse supposer que cette unité pourrait jouer un rôle au début de l’apprentissage de la lecture.