1.1.2. Universalité de la syllabe ?

Cependant, si un effet syllabique a pu être mis en évidence dans différentes langues outre le français, en anglais (Bruck, Treiman, & Caravolas, 1995 ; Corina, 1992 ; Finney, Protopapas, & Eimas, 1996 ; Treiman & Dannis, 1988 a, 1988 b ;), en espagnol (Bradley, Sànchez-Cases, & Garcia-Albea, 1993 ; Pallier, Sebastiàn-Gallés, & Felguerra, 1993 ; Sebastiàn-Gallés, Dupoux, Segui, & Mehler, 1992), en italien (Floccia, Kolinsky, & Morais, 1996 ; Tabossi, Collina, Mazzetti, & Zopello, 2000) ou encore en néerlandais (Zwisterlood, Schriefers, Lahiri, & Van Donselaar, 1993), il semble que ces résultats ne soient pas tous comparables et consistants par rapport à l’effet syllabique tel qu’il a été défini par Mehler et al.(1981).

Une première remise en question de l’universalité de cet effet vient des études de Cutler, Mehler, Norris, & Segui (1983 ; 1986) comparant les performances de locuteurs anglais et français aux mêmes tâches de détection de fragment. Seuls les locuteurs Français ont montré un effet syllabique, à la fois sur le matériel français et anglais, tandis qu’aucun effet de ce type n’a été montré chez les locuteurs anglais. Pour l’anglais Cutler et Norris (1988) ont avancé une segmentation reposant non pas sur l’unité syllabique, mais sur la structure métrique de la langue reposant sur une opposition entre syllabe forte (accentuée) et syllabe faible (non accentuée). Ces études ont mis en évidence que chaque langue a des propriétés phonologiques qui peuvent donner lieu à des grains d’analyse différents pour segmenter la chaîne parlée. A ce titre, le français et dans une plus large mesure les langues romanes, ont été qualifiées très tôt (Pike, 1945) de langues à rythme syllabique, tandis que les langues anglo-saxonnes sont tenues pour des langues à rythme accentuel. Les études de Cutler et al. (1988) vont dans ce sens. Une langue comme le français ne devrait donc pas montrer d’effet de rythme. Pourtant, Banel et Bacri (1997) ont montré que la détection d’un mot monosyllabique comme « lampe » enchâssé en position d’un pseudomot comme « lampzoc » était facilitée lorsque le pattern métrique du pseudomot porteur de la cible était long-bref en comparaison à une situation contrôle où le pattern métrique était long-long. L’accentuation du français, bien que n’étant pas pertinente, c’est-à-dire ne permettant pas de discriminer les mots entre eux, existe néanmoins en tant qu’accent final des syntagmes (Vaissière, 1983 ; Wenk, & Wioland, 1982). Les sujets ont pu utiliser cette relative accentuation de la syllabe finale pour initier une stratégie de segmentation. Ces résultats ont été répliqués par Banel, Frauenfelder et Perruchet (1998) avec une méthode d’apprentissage d’un langage artificiel. Cependant, Vroomen, Tuomainen et De Gelder (1998), comparant les performances de locuteurs néerlandais, finlandais et français n’ont retrouvé cet effet que chez les locuteurs anglo-saxons, les locuteurs français n’ayant montré aucune sensibilité à cet indice prosodique (mais voir Christophe, Peperkamp, Pallier, Block, & Mehler, 2004, pour un effet prosodique dans la segmentation de la chaîne parlée en français). Ce qui laisse de nouveau une place de choix à la syllabe comme candidat préférentiel pour la segmentation des mots en français.

La question reste néanmoins posée de savoir si la syllabe est une unité de segmentation ou une unité de classification en français. En d’autres termes, l’accès au lexique est-il conditionné par des unités de la taille de la syllabe, opérant de manière séquentielle (hypothèse de classification, Mehler et al. 1981) ou bien la syllabe est-elle une unité de segmentation pertinente pour initier la recherche lexicale dans le lexique mental ?

Relativisant le fait que le lexique mental serait constitué d’unité syllabique, les recherches se sont tournées sur la syllabe comme candidat potentiel, en français, pour la segmentation de la chaîne parlée. La syllabe constituerait alors une sorte d’îlot pour l’analyse de la chaîne parlée.