1.2.1. Le syllabaire mental

Levelt et Wheeldom (1994) ont proposé un modèle de l’encodage phonologique des mots reposant sur l’existence d’un syllabaire mental qui contiendrait la plupart des syllabes légales d’une langue donnée. La prononciation d’un mot se ferait en deux étapes successives.

La première consisterait en la récupération de la forme phonologique du mot, à travers l’information segmentale et l’information métrique. L’information segmentale représenterait les positions squelettales des consonnes et des voyelles, et l’information métrique représenterait la trame du mot, c’est-à-dire sa structure accentuelle et le nombre de syllabes par mot. La seconde consisterait en la récupération d’un geste articulatoire sous la forme de syllabes. L’hypothèse est que la plupart des syllabes utilisées dans une langue correspondent à des gestes articulatoires produits très fréquemment. La syllabe étant le domaine de nombreuses variations allophoniques, si les syllabes sont encodées dans le système, alors le locuteur sait comment prononcer les segments grâce à la représentation syllabique. C’est parce que les syllabes seraient les unités les plus fréquemment utilisées qu’elles pourraient constituer le syllabaire mental. En d’autres termes, une fois que la forme phonologique du mot est récupérée, ses syllabes successives, chacune des syllabes active le geste articulatoire qui lui correspond dans le syllabaire. Au final, ces gestes articulatoires contrôlent l’exécution motrice de la syllabe et ainsi la production d’un mot. L’hypothèse du syllabaire mental est également intéressante parce qu’elle permettrait de réduire la charge cognitive du traitement, or on sait que les processus mentaux les plus efficients sont ceux qui supportent les coûts de traitement les plus économiques (Cholin, Schiller, & Levelt, 2004 ; Crompton, 1981 ; Schiller, Meyer, Baayen, & Levelt, 1996). Dans une étude récente, Cholin, Levelt et Schiller (2006) ont réaffirmé l’hypothèse forte du rôle de la syllabe comme interface pour l’encodage entre les niveaux phonologique et phonétique. Cholin et al. (2006) ont testé l’effet de fréquence syllabique dans une tâche de production de pseudomots dans le cadre d’un apprentissage associatif. Les participants devaient mémoriser un pseudomot présenté auditivement et l’associer à la position d’un symbole (un haut-parleur) présenté, soit à droite soit à gauche, sur un écran d’ordinateur. Lors de la phase de test, les sujets devaient produire le plus rapidement possible un pseudomot associé à la position du haut-parleur sur l’écran. Une première expérience avec des pseudomots monosyllabiques montrent que les pseudomots de haute fréquence sont retrouvés, de manière significative, plus rapidement que les pseudomots de faible fréquence. Cet effet est expliqué en vertu de l’existence pré compilée de gestes articulatoires de nature syllabique. Deux autres expériences sur le même dispositif ont testé l’effet de la fréquence syllabique sur des pseudomots bisyllabiques. Les résultats ont montré que la fréquence syllabique n’a aucun effet sur la deuxième syllabe d’un pseudomot alors qu’elle a un effet sur la première syllabe d’un pseudomot. Les auteurs ont interprété ces résultats en termes de chevauchement dans le déroulement des processus. Les syllabes sont encodées successivement dans une séquentialité gauche droite, impliquant que lorsque la première syllabe est extraite du syllabaire mentale, la seconde est en cours de traitement, d’où l’absence d’effet de fréquence pour la deuxième syllabe. Cholin et al. (2006) ont non seulement réaffirmé la validité du modèle d’encodage phonologique de Levelt et Wheeldom (1994) mais ont également défendu l’hypothèse d’un processus de traitement séquentiel pour la récupération des programmes syllabiques pré compilés, qui ne serait toutefois pas incompatible avec l’assemblage en temps réel de programmes phonétiques dans le cas de syllabes inexistantes dans le syllabaire.