1.2.4. Mise en évidence d’un problème méthodologique

Récemment, Spinelli et Radeau (2004) ont réexaminé, en français, le rôle de la syllabe dans l’accès au lexique. Au cours d’une première expérience, les participants étaient soumis à une tâche d’amorçage phonologique intermodalité (auditif-visuel) dans une tâche de production (nomination). Si la syllabe joue un rôle dans l’activation de la cohorte des candidats lexicaux, alors la présentation d’une amorce auditive partageant la même syllabe initiale que le mot à prononcer devrait faciliter la prononciation de ce mot. En revanche, dans le cas où l’amorce et la syllabe initiale du mot porteur ne seraient pas compatibles, un allongement de la durée de prononciation du mot est attendu. Des paires amorces-cibles du type de /ka/-capuche (amorce CV) et /kap/-capsule (amorce CVC) versus des cibles du type /kap/-capuche et /ka/-capsule ont été présentées à des sujets afin de tester cette hypothèse. Les résultats ont montré un avantage pour les amorces CVC par rapport aux amorces CV, et ceci, indépendamment de la structure de la syllabe initiale, CV ou CVC, du mot porteur. Ces données conforteraient plutôt un traitement lettre à lettre, selon lequel seul le partage de phonèmes identiques permettrait une facilitation du traitement. Une réplication de cette expérience, mais en décision lexicale cette fois, a conduit aux mêmes résultats. Un argument des auteurs est que la tâche de décision lexicale pouvait comporter un biais, dans la mesure où la modalité audiovisuelle a pu bloquer l’apparition de l’effet syllabique. La tâche de décision lexicale a donc été de nouveau administrée à des participants, mais en modalité auditive uniquement. Compte tenu des résultats antérieurs obtenus en décision lexicale, les auteurs ont ajouté une condition de contrôle, une amorce de type CCV (comme /klo/, par exemple) afin de déterminer plus précisément l’impact des différentes amorces sur les décisions lexicales. Les résultats sont à prendre avec précaution, dans la mesure où l’interaction entre les deux facteurs principaux s’est révélée être non significative. Toutefois, ces résultats peuvent être informatifs dans la mesure où ils ont montré une asymétrie de traitement entre les cibles CV et CVC. En effet, les cibles CV sont traitées moins rapidement lorsqu’elles sont précédées par une amorce CVC, et plus rapidement lorsqu’elles sont précédées par une amorce CV, ce qui pourrait être en accord avec l’hypothèse syllabique. Cependant, les cibles CVC présentaient le même avantage en temps de traitement, que la cible soit de structure CV ou CVC, par rapport aux amorces de contrôle. Bien que les résultats ne reflétaient pas l’interaction typique de l’effet syllabique décrit par Mehler et al. (1981), cela ne signifie pas, pour les auteurs, que la syllabe soit exempte de tout rôle dans le traitement de l’oral. Les auditeurs pourraient utiliser l’information syllabique dans l’accès au lexique afin de réduire le nombre de compétiteurs activés par la présentation d’un mot. Tous les mots ne correspondant pas avec la structure syllabique du mot présenté seraient éliminés par le système sur la base d’une incompatibilité syllabique. Le fait que des amorces CV aient activé de manière comparable des mots CV et CVC, alors que des amorces CVC ne semblent activer que des mots de structure CVC, pourrait s’expliquer par le fait que moins de candidats seraient en compétition compte tenu d’une information segmentale supérieure pour une amorce CVC par rapport à une amorce CV. Selon nous, une explication supplémentaire pourrait provenir de la distribution des syllabes CV et CVC dans la langue française. En effet, selon Delattre (1966) 54,9 % des syllabes sont de structure CV tandis que 17,1 % des syllabes sont de structure CVC. La distribution de syllabes CVC est donc inférieure à celle des syllabes CV. En d’autres termes, lors de la présentation d’une amorce CVC le nombre de candidats est au départ moindre que dans le cas d’une amorce CV, puisque la distribution CVC est moins représentée dans la langue, et ce en dehors de toute information segmentale.

En conclusion, si l’effet syllabique mis en évidence au travers de ces différentes études ne correspond pas toujours à l’interaction typique de Mehler et al. (1981), il semblerait néanmoins que la syllabe ait bien un rôle à jouer dans la production comme dans la perception de la parole en français.