2.1.2. Modèle des syllabogènes

L’hypothèse d’une segmentation syllabique chez le nouveau-né français est également celle du modèle des syllabogènes SARAH (Syllable Acquisition, Representation and Access Hypothesis), présenté par Mehler, et al. (1990). Ce modèle s’inspire du modèle de Levelt (1989), proposé pour rendre compte des processus en œuvre dans la production de la parole. L’idée centrale du modèle SARAH est que le nouveau-né français commencerait tout d’abord par reconnaître des syllabes pour ensuite en extraire une connaissance des phonèmes pertinents dans sa langue. Les syllabogènes constitueraient le point de contact initial entre le signal acoustique et le traitement linguistique, et serviraient de gabarit pour l’analyse du signal par l’intermédiaire de l’unité syllabique. Il y aurait alors un appariement entre le syllabogène et la syllabe, induisant l’activation du syllabogène en cas de correspondance entre le syllabogène et la portion du signal correspondant grossièrement à la syllabe. Selon Dupoux (2004 b) les syllabogènes permettraient de rendre compte de manière simple des illusions phonologiques intervenant dans le cas de perception de syllabes inexistantes pour une langue donnée.

La validité du modèle SARAH (Mehler, et al. 1990) a été remise en question par Cutler, et al. (2001) par rapport à la propriété principale du signal de parole qui est d’être continue. Admettre l’existence de syllabogènes serait admettre un traitement discontinu du signal de parole, ce qui est peu probable selon Cutler et al. (2001), puisque ce signal est par essence continu. Pour Dupoux (2004 b), le problème de la discontinuité peut être résolu si l’on se place dans un modèle d’activation en parallèle et de traitement en cascade de toutes les unités syllabiques. Il est alors possible de concevoir, par exemple pour la syllabe /bi/, une activation partielle de toutes les syllabes /bi/, et une activation en cascade des unités plus petites composant cette syllabe comme /b/ et /i/ avant l’identification d’une syllabe /bi/ unique. De cette manière, l’idée de syllabogènes définis à un niveau acoustique serait conciliable avec le caractère continu du signal de parole, et la syllabe pourrait donc être considérée comme une unité pertinente dans l’acquisition du langage.