2.2. Syllabe et production de la parole

Les productions vocales des enfants reflètent très précocement l’influence de la langue maternelle. Bien qu’il existe des contraintes universelles d’ordre biomécanique (MacNeilage, & Davis, 2000 a ; 200 b), les productions vocales des enfants se règlent sur le modèle qui leur est fourni, en l’occurrence la langue qu’ils ont à acquérir. Autrement dit, les productions précoces des enfants résultent d’interactions entre des tendances universelles et les propriétés spécifiques de la langue particulière de l’environnement. Succédant aux premières vocalises et autres balbutiements, le babillage peut être considéré comme un cadre pour le développement de la parole. Selon Boysson-Bardies (1996, p.60) : « dans le babillage l’enfant commence à produire des syllabes qui respectent les contraintes des syllabes dans les langues naturelles (Oller, & Lynch, 1992). Sans trop entrer dans les querelles des linguistes, nous dirons que la syllabe est l’unité rythmique de base des langues naturelles. Toutes les langues sont syllabiques ». Les langues naturelles sont en effet syllabiques, dans la mesure où la plupart des langues 7 présente au minimum un noyau vocalique et une alternance consonne-voyelle, dont les séquences peuvent être plus ou moins complexes. Cet état de fait ne nous renseigne pas davantage sur la structure même de la syllabe en français. La syllabe en tant qu’unité de production fonderait l’organisation de la parole (MacNeilage, 1980), cependant les structures possibles de syllabes varient avec les langues.

Sans entrer dans le débat de l’inné et de l’acquis, les études de Konopczinski (1991) ont montré que jusqu’à 9 mois le babil était essentiellement constitué de syllabes vocaliques de durées variables. Dès que le bébé se retrouve en situation d’interaction langagière, ses productions commencent à se structurer au plan du rythme et de l’intonation et constituent un « protolangage ». Il semble que cette étape soit universelle, d’où l’appellation de babillage canonique. Le bébé passe ainsi d’une rythmicité biologiquement motivée à une structuration temporelle et accentuelle, modelée par les normes de la langue maternelle à acquérir. A ce titre, il semble que le babil des jeunes enfants soit déjà porteur des particularités, au moins prosodiques, de chaque langue. Boysson-Bardies, Sagart, et Durand (1984) ont fait écouter à des adultes français des enregistrements de babil d’enfants de huit mois en français, arabe et cantonais. Ces adultes devaient estimer, lequel parmi deux babils entendus successivement était le babil français. Ce dernier était présent dans chaque paire présentée. Les résultats ont indiqué que dans 70% des cas, les adultes français parvenaient à identifier correctement le babil français du babil étranger. Les auteurs en ont conclu que dès huit mois, le babillage reflète les caractéristiques de la langue de l’environnement, principalement le type de phonation, le rythme et les contours d’intonation. Les productions précoces se règlent ainsi sur le modèle qui est fourni, en l’occurrence la langue maternelle. Les études interlangues confirment que dès 9-10 mois, les productions des enfants sont conformes globalement au système phonologique de leur propre langue (Hallé, Boysson-Bardies, & Vihman, 1991). Hallé et al. (1991) ont ainsi mis en évidence que l’allongement terminal et la montée de la voix sur la syllabe finale s’observent bien plus souvent chez des enfants français de 18 mois que chez des anglophones. Ces caractéristiques ne se retrouvent pas chez les enfants japonais, pour lesquels les syllabes finales ne sont jamais allongées. Il n’existe pas, à notre connaissance, d’études sur la production du langage chez l’enfant portant spécifiquement sur la structure syllabique en français. Les études existantes sur les productions précoces indiquent que ces productions sont davantage sujettes à des simplifications et suppressions de syllabe, comme à une harmonisation entre consonne de la première et deuxième syllabe d’un mot (Bertoncini, & Boysson-Bardies, 2000).

Notes
7.

Sauf les langues à clicks