2.4. Entraînement à la dénomination

Wentik, van Bon et Schreuder (1997) ont proposé un entraînement informatisé consistant en une tâche de dénomination de pseudomots. Les auteurs se sont appuyés sur le paradigme des « flash cards » développé par van den Bosch (1991 ; van den Bosch, van Bon, & Schreuder 1995). Dans ce paradigme, il a été montré qu’un temps de présentation bref d’un stimulus améliorait les performances de décodage de sujets faibles lecteurs. De plus, il a été rapporté que l’augmentation des latences de temps de réponses n’était pas due au nombre de graphèmes contenus dans un pseudomot, mais provenait plutôt du nombre de syllabes contenues dans ces pseudomots. La particularité de la tâche de dénomination élaborée par Wentik et al. (1997) a alors résidé dans l’affichage du pseudomot à produire. La structure syllabique du pseudomot était en effet clairement explicitée grâce à l’alternance entre caractères gras et non gras, délimitant ainsi les différentes syllabes phonologiques de l’item. La syllabe était envisagée comme l’unité la plus apte à expliquer, et éventuellement permettre l’automatisation du lien entre code écrit et code oral. Les enfants faibles lecteurs pourraient améliorer leurs capacités de décodage en s’appuyant sur la segmentation syllabique de l’item. Cinquante-cinq participants néerlandais faibles lecteurs, scolarisés en institut spécialisé ont été répartis en deux groupes. Un groupe expérimental de 28 enfants et un groupe contrôle de 27 enfants. Ces enfants présentaient au moins un an de retard de lecture, et leur niveau de lecture était comparable à celui de lecteurs de deuxième année d’apprentissage. Ces deux groupes étaient appariés en âge chronologique. Seul le groupe expérimental a bénéficié d’un entraînement spécifique qui s’est déroulé sur deux mois, à raison de deux séances par semaine. La durée de chaque séance était de trente minutes. Le matériel était composé de pseudomots qui étaient tous phonologiquement transparents et différaient en fonction de leur nombre de syllabes et/ou de graphèmes afin de pouvoir distinguer un effet graphémique d’un effet syllabique. Cinq types de structures orthographiques ont été manipulés. Les pseudomots monosyllabiques pouvaient être composés de trois ou cinq graphèmes, d’où les structures CVC ou CCVCC. Les pseudomots bisyllabiques pouvaient être composés de cinq ou sept graphèmes, d’où les structures CVCVC, CCVCCVC, CVCCVCC et CCVCVCC. Les pseudomots trisyllabiques étaient composés de sept graphèmes avec une structure orthographique CVCVCVC. Le temps d’affichage de l’item a également été manipulé. Au cours d’une phase d’entraînement précédant la phase expérimentale, le temps de présentation de l’item à l’écran était fixé à deux secondes pour les pseudomots monosyllabiques, quatre secondes pour les pseudomots bisyllabiques et six secondes pour les pseudomots bi- et trisyllabiques comportant sept graphèmes. En fonction du nombre de réponses correctes ou erronées, ce temps d’affichage pouvait être augmenté ou diminué. Un effet syllabique en dénomination de pseudomots devrait se traduire par une augmentation des latences de temps de réponses pour les pseudomots, en fonction du nombre de syllabes de l’item et non en fonction du nombre de graphèmes. L’inverse était attendu pour un effet graphémique. Si la procédure d’affichage des unités syllabiques au sein d’un pseudomot permettait d’améliorer les capacités de décodage, alors aucune différence entre les tailles de syllabes définies par leur nombre de graphèmes respectifs ne devrait être observée. Les latences de temps de réponses devraient également être de plus en plus rapides au long des séances en fonction du nombre de syllabes par item, sous l’effet de l’entraînement. Les pré- et post-test comprenaient une tâche standardisée de lecture de mots isolés et deux tâches de dénomination sur ordinateur. Pour ces deux dernières tâches, il s’agissait de mots, et de pseudomots non entraînés afin de tester un éventuel transfert d’apprentissage, sans limitation du temps d’affichage de l’item à l’écran.

Les résultats ont montré un bénéfice de l’entraînement. Les enfants du groupe entraîné avaient des performances accrues dans les trois épreuves. Les latences de dénomination étaient plus faibles pour le groupe entraîné que pour le groupe contrôle. En revanche, aucune différence n’a été observée du point de vue de la précision de la production des mots et pseudomots entre les deux groupes.

Les auteurs ont donc conclu à un effet positif de ce type d’entraînement, les capacités de décodage des enfants entraînés ont bien été améliorées, en lecture seulement. Concernant l’hypothèse de l’utilisation de l’unité syllabique dans le décodage des mots, les auteurs ont observé une augmentation des latences de temps de réponses pour les pseudomots contenant le plus de syllabes. Cet effet a toutefois été limité aux pseudomots bisyllabiques de cinq lettres, comparativement aux pseudomots monosyllabiques. Les enfants ont mis plus de temps à produire un bi- qu’un monosyllabe. En revanche aucune diminution des latences de temps de réponses n’a été observée au long de l’entraînement en fonction du nombre de syllabes par pseudomots. Les auteurs ont mené une autre série d’analyses sur l’évolution des latences de temps de réponses entre le pré et le post test à partir de l’épreuve de dénomination de mots. Leur objectif était de tester si un effet syllabique pouvait exister ou non chez le groupe expérimental avant l’entraînement. Au pré-test dans cette tâche aucune différence n’a été observée pour le groupe expérimental au niveau des latences de temps de réponses entre les mots mono et bisyllabiques. En revanche au post test, un effet syllabique a été observé et les auteurs ont interprété la présence de cet effet syllabique comme dépendant de l’entraînement. Il semblerait alors que les enfants entraînés à l’aide des « flash cards » aient développé une stratégie de décodage en utilisant l’information syllabique. Concernant le groupe contrôle, aucun effet de ce type n’a été observé au post-test. Selon les auteurs, l’effet de la longueur graphémique observé pour les pseudomots de deux et trois syllabes, de sept lettres, comparé à l’effet syllabique observé entre les pseudomots mono et bisyllabiques, de cinq lettres, s’expliquerait de la manière suivante. Les enfants entraînés, faibles lecteurs, pourraient être au début d’une phase d’amélioration de leurs capacités de décodage. A ce titre, leurs progrès pourraient n’être visibles que sur des items de longueur moyenne. Les items de sept lettres seraient encore trop complexes pour qu’une stratégie autre que séquentielle, lettre à lettre, puisse être élaborée. D’où un effet syllabique entre les mots mono- et bisyllabiques et un effet de longueur orthographique pour les items les plus longs. En d’autres termes, ces lecteurs de faible niveau étaient peut être en voie d’acquisition d’une procédure plus automatisée requérant l’utilisation de l’unité syllabique.