1. Paradigme de détection de cible

Notre première série d’expériences a pour but d’étudier l’effet syllabique dans une tâche de détection de cible auprès d’apprentis lecteurs de bon et faible niveau de lecture et de différents niveaux d’enseignement. Compte tenu des données que nous avons présentées précédemment concernant les modèles d’apprentissage de la lecture, il apparaîtrait que les modèles développementaux (Chall, 1983 ; Ehri, 1995 ; Frith, 1985, 1986 ; Gough et al. 1980 ; Marsh et al. 1981 ; Seymour, 1986) ne soient pas aptes à rendre compte de la dynamique développementale propre à l’apprentissage de la lecture. Les modèles interactifs, notamment Seymour (1997) et Colé et al. (1999) rendent compte des liens existants entre code orthographique et code phonologique lors de l’apprentissage de la lecture. A partir des années 1990, en effet, les modèles d’acquisition de la lecture se sont tous intéressés à la co-existence des processus phonologiques et orthographiques. Deux questions principales se sont alors posées. Quel est le parcours développemental de l’apprentissage de la lecture ? L’enfant progresse-t-il des unités les plus petites vers des unités de plus en plus larges (Seymour et al. 1994 ; Seymour, 1997 ; Colé et al. 1999) ou bien des unités les plus larges vers les unités les plus petites (Treiman, 1989 ; Goswami, 1999 ; Goswami, & Bryant, 1990). Et, compte tenu du recours à la médiation phonologique pour identifier les mots écrits, quel est le format de l’unité phonologique utilisée ? Colé et al. (1999) ont proposé d’étudier la nature des unités phonologiques infralexicales et ont interprété leurs résultats en termes de traitement grapho-syllabique. Plus précisément, après apprentissage des règles de correspondance grapho-phonémiques, les unités pertinentes pour le traitement du langage oral (en l’occurrence la syllabe, en français) pourraient médiatiser la reconnaissance d’un mot écrit. Les unités infralexicales phonologiques sollicitées dans le traitement de l’écrit pourraient être les syllabes de l’oral, dans la mesure où l’oral préexiste à l’écrit et que la syllabe semble être une candidate de choix pour la segmentation du flux de parole, tout au moins en français (Bastien-Toniazzo et al. 1999; Bijeljac-Babic et al. 2004; Duncan et al. 2006; Sprenger-Charolles et al. 1997; Sprenger-Charolles et al. 2003). De plus, Mathey et al. (2006) et Doignon et Zagar (2005) ont proposé d’adjoindre aux architectures connexionnistes simulant l’apprentissage de la lecture un niveau de représentation d’unités symboliques correspondant à la syllabe.

Nos travaux portent sur l’effet d’un traitement syllabique chez l’apprenti-lecteur, en reprenant le paradigme expérimental de Colé et al. (1999). Notre premier objectif est d’observer l’effet syllabique chez des enfants en fonction de leur niveau de lecture, défini par leur nombre d’années d’enseignement (CE1 vs. CM1) et par leur niveau individuel de lecture (fort vs. faible). Nous pourrons ainsi observer le traitement effectué par des enfants de différents niveaux d’expertise et l’évolution des procédures sous l’effet de l’enseignement. En fonction du comportement des lecteurs de bons niveaux nous pourrons également observer les procédures déficitaires chez les enfants faibles lecteurs. Notre deuxième objectif était d’observer l’effet de différentes consonnes pivot sur la perception visuelle (Expérience 1) et auditive (Expérience 2) de la syllabe, conformément aux travaux de Content et al. (2001). En effet, la syllabe orthographique est considérée comme reflétant la syllabe phonologique. Or, dans l’expérience de Colé et al. (1999), les items utilisés comportaient essentiellement une consonne pivot appartenant à la classe des liquides. A l’issue des résultats de Content et al. (2001) nous nous proposons d’élargir l’étude de l’effet syllabique en modalité visuelle à d’autres types de consonne pivot. Enfin notre troisième objectif était de comparer le traitement syllabique en modalités visuelle et auditive. Il n’existe pas, à notre connaissance, d’étude portant sur le traitement syllabique en modalité auditive dans une tâche de détection de cible chez l’enfant, ce qui constitue une originalité de notre travail.

En modalité visuelle, si la syllabe est une unité qui s’acquière au cours de l’apprentissage de la lecture, nous nous attendons à ce que l’effet de compatibilité syllabique ne se manifeste que chez les bons lecteurs.

En modalité auditive, si la syllabe est une unité déjà en place par l’expérience du code oral, nous nous attendons à ce que l’effet de compatibilité syllabique se manifeste indépendamment du niveau de lecture des enfants.