Chapitre 4 : Expériences

Nos expérimentations avaient pour objectif de tester l’effet de compatibilité syllabique chez l’enfant, lors de l’apprentissage de la lecture, tel que décrit par Colé et al. (1999). Nous avons donc utilisé le paradigme expérimental de détection de cible élaboré par Mehler et al. (1981) et adapté en modalité visuelle par Colé et al. (1999). Cependant nous avons pris en considération les résultats de Content et al. (2001) suggérant que l’effet syllabique en modalité auditive pourrait dépendre des caractéristiques phonétiques de la consonne pivot. Nous avons donc repris le paradigme expérimental de Colé et al. (1999) en manipulant la nature de la consonne pivot. Cette tâche permet en effet d’effectuer une hypothèse en termes de structure syllabique ou de traitement lettre à lettre. Deux types de mots, CV et CVC, ainsi que deux types de cibles, CV et CVC sont utilisés. La frontière syllabique d’un mot de type CV (« ba.lance ») représente également le premier bigramme d’un mot de type CVC (« bal.con »), et inversement pour un mot de type CVC (« bal.con ») avec cible CV (« ba). Pour un mot de type CV comme « ba.lance » la frontière syllabique et la frontière grapho-syllabique coïncident dans le cas d’une cible CV, tandis que pour ce même type de mot une cible CVC entraîne une inadéquation entre la frontière syllabique et la frontière grapho-syllabique, et ce pareillement pour un mot de type CVC. Puisque les paires d’items partagent les trois mêmes lettres initiales, un effet syllabique se manifeste par un traitement plus rapide en cas de compatibilité syllabique, que le mot soit de type CV ou CVC, et un effet de longueur de cible se manifeste par un temps de traitement plus court pour les cibles CV que pour les cibles CVC, que l’item soit de type CV ou CVC. L’utilisation des deux types d’items, définis en fonction de leur structure syllabique, avec deux types de cibles compatible et non compatible, permet ainsi de faire la différence entre traitement grapho-syllabique et traitement orthographique seulement. Si la syllabe grapho-phonologique est une unité de traitement qui s’acquière pendant l’apprentissage de la lecture, nous nous attendons à ce que les lecteurs de faibles niveaux opèrent un traitement lettre à lettre, mettant en évidence un effet de longueur de la cible, tandis que nous nous attendons à observer un effet de compatibilité syllabique chez les lecteurs de bons niveaux. Dans leur expérience Colé et al. (1999), ont en effet montré que les apprentis lecteurs en début d’année manifestaient plutôt un effet de longueur de cible, tandis que ces mêmes apprentis lecteurs manifestaient un effet de compatibilité syllabique en fin d’année scolaire. Les auteurs en ont conclu que la syllabe pourrait être une unité transitoire de traitement, se développant au cours de l’apprentissage de la lecture et son apparition dans le traitement de l’écrit pourrait témoigner du développement d’une expertise en lecture. Nous avons conduit trois expériences utilisant le paradigme de détection de cible. Une expérimentation préliminaire réalisée en modalité visuelle, en condition mot, auprès d’enfants scolarisés en CP et CE1 nous a permis de tester le paradigme et le matériel linguistique utilisé. Deux expériences ont ensuite été réalisées en condition mot et pseudomot auprès d’enfants de CE1 et de CM1, en modalité visuelle et en modalité auditive, l’utilisation de pseudomots devant nous permettre d’observer de purs effets phonologiques. À notre connaissance, il n’existe pas, en langue française, d’étude utilisant le paradigme de détection de cible de Mehler et al. (1981) chez l’enfant. Nous testons cette modalité afin de pouvoir comparer l’effet syllabique obtenu chez l’adulte considéré comme expert et chez l’enfant. En modalité auditive, si la syllabe est une unité de traitement préexistant à l’apprentissage de la lecture, alors l’effet syllabique devrait se manifester indifféremment en fonction du niveau de lecture. Compte tenu des résultats rapportés par Content et al. (2001) chez l’adulte, nous proposons une étude exploratoire des caractéristiques phonétiques de la consonne pivot dans une tâche de détection de cible chez l’enfant. Si l’effet syllabique dépend des caractéristiques phonétiques de la consonne pivot, nous nous attendons à ce que cet effet se manifeste différemment en fonction des séries de consonne pivot que nous testons.

Nous proposons de comparer les résultats que nous avons obtenus chez l’enfant avec les résultats de Mehler et al. (1981), Colé et al. (1999) en modalité visuelle et les résultats de Content et al. (2001) en modalité auditive.