2.5. Discussion sur l’Expérience 1

Concerant la tâche de détection de cible en condition mot, lorque nous avons testé l’effet syllabique auprès de lecteurs de niveaux d’enseignement différents (CE1 et CM1) de bon et faible niveau de lecture, nous avons de nouveau retrouvé le même pattern de réponses que dans notre expérience préliminaire. Seuls les enfants bons lecteurs, quel que soit leur niveau d’enseignement, ont montré un effet de compatibilité syllabique. En revanche, les lecteurs de faible niveau, de CE1 comme de CM1 ont montré un effet de longueur de la cible. Ces résultats suggèrent de nouveau que l’effet de compatibilité syllabique témoigne d’une habileté en lecture, qui, lorsqu’elle n’est pas encore en place ou est déficiente se traduit par un effet de longueur de la cible. Concernant l’effet de la consonne pivot, notre hypothèse était que si l’effet de compatibilité syllabique dépendait des caractéristiques phonétiques de la consonne pivot, alors l’effet syllabique devrait se manifester différemment en fonction de la nature de la consonne pivot testée. En condition « mot », pour les enfants de CE1 et de CM1 bons lecteurs, il semblerait que l’effet de compatibilité syllabique ne dépende pas des caractéristiques phonétiques de la consonne pivot. En effet, nous avons observé un effet de compatibilité syllabique pour les trois types de consonnes pivot chez les enfants de CE1, très nettement pour la série des occlusives et en partie pour les liquides et la fricative. Il est possible que ces deux derniers résultats soient imputables à une forte variabilité interindividuelle, fréquente lors de l’expérimentation avec des enfants, et qu’un nombre plus élevé des participants soit requis pour observer ces résultats avec des différences significatives également par sujet. Pour les enfants de CM1 bons lecteurs, nous n’observons plus d’effet de compatibilité syllabique avec la fricative, et cet effet est marginalement significatif pour les liquides. En revanche, l’effet de compatibilité syllabique est significatif par item pour les occlusives. Pour autant, l’allure de ces derniers résultats laisse supposer que l’effet de compatibilité syllabique aurait peut-être émergé plus clairement si nous avions compté un nombre de participants plus élevé par groupe. Tout en étant conscients que nos résultats soient à prendre avec précaution compte tenu de notre précédente remarque, nous constatons néanmoins que l’effet de compatibilité syllabique tendrait à se manifester quelle que soit la nature de la consonne pivot, bien que cet effet paraisse plus stable pour les occlusives.

Nous avons également testé l’effet de compatibilité syllabique à l’aide de pseudomot afin de pouvoir observer de plus nets effets phonologiques, nous n’avons pas tout à fait observé les mêmes patterns de réponses qu’en condition mot. Les enfants de CE1 de faible niveau ont bien montré un effet de longueur de la cible, mais avec un pattern inversé : les cibles de structure CVC étant traitées plus rapidement que les cibles de structure CV. Pour des lecteurs de ce niveau ce résultat est difficilement interprétable. En revanche, les enfants de CE1 bons lecteurs, comme les enfants CM1 faibles lecteurs, ont montré un effet de compatibilité syllabique, conformément à notre hypothèse développementale. Cependant, les enfants bons lecteurs de CM1 ont manifesté un traitement quelque peu surprenant, dans la mesure où comme chez les CE1 faibles lecteurs les cibles de structure CVC ont été traités plus rapidement que les cibles de structure CV. Au sujet des enfants de CM1 faibles lecteurs en condition pseudomot, montrant un traitement différent par rapport aux enfants de CM1 faibles lecteurs en condition mot il est possible qu’en condition pseudomot nous ayons capté des effets phonologiques plus nets que dans la condition mot. Dans ce cas, il se pourrait que les enfants de CM1 faibles lecteurs, non perturbés par un traitement sémantique, aient manifesté plus facilement l’effet de compatibilité syllabique, cet effet étant déjà en place compte tenu de leur degré d’expertise en lecture.Cependant, entre les enfants de CM1 faibles lecteurs et les enfants de CM1 bons lecteurs en condition « pseudomot », nousn’observons plus le parcours développemental selon lequel les enfants faibles lecteurs manifesteraient un traitement lettre à lettre et les enfants de bon niveau un effet de compatibilité syllabique.Par rapport aux enfants de CM1 bons lecteurs, leurs patrons de résultats ont montré un effet de longueur de la cible « inversé ». En effet, ces enfants ont traité plus rapidement des cibles de trois lettres que des cibles de deux lettres, et ce, quelle que soit la structure initiale de l’item. Il est possible que ces enfants aient développé une stratégie consistant à répondre plus rapidement en présence d’une cible de trois lettres suggérant un traitement par recouvrement orthographique. Dans la mesure où une cible comme « ca » peut constituer à la fois le début de pseudomot de structure CV comme « capange » et de pseudomot de structure CVC comme « captuge », il est possible que les enfants aient pris leur décision plus rapidement dans le cas où le maximum de segments était présent, soit pour une cible « cap » dans le cas de ces items. L’augmentation des temps de réponse pour les cibles de deux lettres pourrait traduire une difficulté de décision, difficulté qui serait dépassée dans le cas d’une cible de trois lettres. En l’absence d’indices sémantiques, ces enfants ont pu développer une stratégie derecouvrement orthographique afin de réaliser la tâche. En revanche, les temps de réponses pour une cible de trois lettres pour un item de structure CVC confirmeraient un traitement syllabique. Spinelli et Radeau(2004) avaient suggéré dans leurs travaux chez l’adulte en modalité auditive que l’asymétrie de traitement entre item CV et item CVC, en faveur d’item CVC, soit due au fait qu’une cible CV laisse une place libre pour une coda éventuelle, alors qu’une cible CVC ne laisse aucune ambiguïté. Il est possible que nos participants de CM1 bons lecteurs, en modalité visuelle et en condition « pseudomot », aient adopté une telle stratégie, d’autant plus qu’en condition pseudomot, ces enfants ont pu être perturbés par l’absence d’un soutien sémantique dans leur traitement.

Concernant l’influence de la consonne pivot sur l’effet syllabique en condition pseudomot, nous avons observé un effet de compatibilité syllabique chez les enfants de CE1 bons et faibles lecteurs pour les consonnes pivot occlusives (« p » et « c ») et la fricative (« s »), tandis que cet effet se manifestait pour les consonnes pivot occlusives (« p » et « c ») et liquides (« l » et « r ») chez les enfants de CM1 faibles lecteurs. Chez les enfants de CM1 bons lecteurs, nous n’avons observé aucun effet de la consonne pivot. Les enfants faibles lecteurs de CE1 et les enfants faibles lecteurs de CM1 ont montré des résultats relativement hétérogènes du point de vue de l’influence de la consonne pivot. Il semblerait que l’influence de la consonne pivot soit plus stable avec la série des occlusives quand un effet de la nature de la consonne pivot est observé. Une récente étude sur la langue française (Hilaire-Debove, & Kehoe, 2004) tendrait à montrer qu’en production aux alentours de 47 à 50 mois, ce sont les occlusives sourdes qui sont majoritairement produites, puis les liquides et ensuite les fricatives. Ces données pourraient en partie expliquer le fait que nous observions davantage d’influence pour notre série d’occlusives. Toutefois il existe peu de travaux sur l’âge d’acquisition des consonnes en français et sur le lien entre l’âge d’acquisition de ces consonnes et l’apprentissage de la lecture, cette interprétation nécessiterait d’être étudiée plus en détail.