3.5. Discussion sur l’Expérience 2

Les tableaux suivants (Tableau23, Tableau 24) présentent une synthèse des résultats que nous avons observés dans les expériences 1 et 2.

« ** » : indique une interaction Structure de l’item * Cible significative

« m » : indique une interaction Structure de l’item * Cible marginalement significative

Tableau 23 : Récapitulatif des analyses globales par sujet et par item des expériences 1 et 2
Analyse globale        
Modalité AUDITIVE      VISUELLE
Items Mots Pseudomots   Mots Pseudomots
Analyses Sujet Item Sujet Item   Sujet Item Sujet Item
CE1 faibles ** **              
                   
CE1 forts     m **   ** ** ** **
                   
CM1 faibles     m m       ** **
                   
CM1 forts ** ** ** **   ** **    
Tableau 24 : Récapitulatif des analyses partielles pour chaque consonne pivot par sujet et par item des expériences 1 et 2
Analyses partielles                            
Modalité   AUDITIVE    VISUELLE
Items   Mots Pseudomots   Mots Pseudomots
Consonne Pivot   LR PC S LR PC S   LR PC S LR PC S
  Analyses                          
CE1 faibles Sujet **             m          
  Item ** **                      
                             
CE1 forts Sujet   m   m         ** m   ** **
  Item       m       m ** **   m  
                             
CM1 faibles Sujet           m     **     m  
  Item           **     **   m **  
                             
CM1 forts Sujet   **   **       m m        
  Item   **   m       m m        

L’Expérience 2 portait sur une tâche de détection de cible en modalité auditive. Nous avons déjà souligné qu’il n’existait pas, à notre connaissance, d’étude portant sur ce paradigme chez l’enfant. Depuis l’étude princeps de Mehler et al. (1981) et la mise en évidence de l’effet syllabique, la syllabe est considérée comme une unité pertinente dans l’analyse du flux auditif. Cependant, cet effet syllabique a été remis en question par Content et al. (2001), auteurs pour lesquels l’effet syllabique pourrait dépendre des caractéristiques phonétiques de la consonne pivot. Cet effet ne s’observerait qu’avec certaines consonnes pivot, notamment les liquides. Nous avons appliqué la procédure de Content et al. (2001) chez l’enfant en testant l’effet de compatibilité syllabique avec des mots et des pseudomots comportant différents types de consonne pivot. Nous avons ainsi testé l’effet de compatibilité syllabique en modalité auditive de manière à observer cet effet chez l’enfant. Partant du principe que le code oral précède l’écrit et adoptant l’idée que la syllabe est une unité fonctionnelle d’analyse du code oral, nous devrions donc observer un effet de compatibilité syllabique en modalité auditive. En français, l’unité de traitement de l’oral pourrait être la syllabe, dès lors nous avons utilisé le même matériel qu’en modalité visuelle afin d’observer le traitement opéré par des enfants sélectionnés et répartis en sous-groupes selon les mêmes critères qu’en modalité visuelle. Nous nous attendions à un effet de compatibilité syllabique indépendamment du niveau de lecture des enfants.

En condition « mot », nous avons observé un effet de compatibilité syllabique chez les enfants de CE1 faibles lecteurs et chez les enfants de CM1 bons lecteurs. Si l’effet de compatibilité syllabique est observé, il semble se manifester différemment en fonction du niveau de lecture des enfants, et de manière plus surprenante, tandis que nous observons cet effet chez des enfants de CE1 faibles lecteurs, nous ne l’observons plus chez des CE1 bons lecteurs sauf pour les occlusives. Il apparaît donc difficile d’interpréter ces résultats en termes de degré d’expertise. Nous nous attendions à observer un effet syllabique quel que soit niveau de lecture et finalement nous ne l’observons que pour les groupes situés aux extrêmes de notre échantillon.L’absence d’effet syllabique chez les enfants de CE1 bons lecteurs reste difficilement interprétable. Pour les enfants de CM1 faibles lecteurs, une explication pourrait être que ces enfants n’ont pas encore réalisé un appariement correct entre les unités de l’oral et de l’écrit, d’où l’absence de l’effet syllabique qui pourrait traduire un niveau de lecture faible et mettre ainsi en évidence le lien entre une certaine conscience des unités de l’oral et le degré d’expertise en lecture. Concernant l’influence de la consonne pivot, il semblerait que l’effet de compatibilité se manifeste davantage pour la série des occlusives « p » et « c ». De fait, nous avons observé un effet de compatibilité syllabique pour ces consonnes pivot chez les enfants de CM1 bons lecteurs, et seulement en partie chez les enfants de CE1 faibles et bons lecteurs. Nos résultats sembleraient indiquer que l’effet de compatibilité syllabique se manifeste différemment en fonction de la nature de la consonne pivot. Chez l’enfant, l’effet de compatibilité syllabique n’est pas circonscrit aux consonnes pivot liquides, voire s’applique à une série de consonnes opposées en termes de trait phonétique, puisqu’il s’agit de consonnes occlusives sourdes. Nous avions souligné, en modalité visuelle, que l’influence de la consonne pivot était plus marquée pour les occlusives. Le fait que nous retrouvions ce pattern de résultats également en modalité auditive semblerait effectivement refléter une antériorité dans le traitement perceptif de ces consonnes. D’autres études seraient à envisager d’un point de vue auditivo-perceptif afin d’approfondir la question de la relation entre la chronologie d’acquisition de ces phonèmes et l’impact de cette chronologie sur l’apprentissage de la lecture. Toutefois nous remarquons que ce sont les phonèmes produits les plus précocement qui donnent lieu à un effet syllabique en fonction du type de consonne pivot testé.

Concernant l’effet de compatibilité syllabique en condition « pseudomot », seuls enfants de CE1 faibles lecteurs n’ont pas montré d’effet de compatibilité sont les enfants.Les enfants de bon niveau de CE1 et de CM1 ont montré un effet de compatibilité syllabique et seulement en partie pour les enfants de CM1 faibles lecteurs. Concernant les enfants de CE1faibles lecteurs, il est possible que leur faible niveau soit justement lié à un déficit d’appariement entre unité de l’oral et de l’écrit d’où l’absence d’un effet de compatibilité syllabique. Il est également possible que ces enfants aient été perturbés par le traitement de pseudomots, d’où leurs faibles performances. En revanche, nos résultats indiquent de nets effets phonologiques dans le traitement de la tâche dès qu’un certain niveau d’expertise en lecture est atteint. L’apprentissage de la lecture entraîne un changement qualitatif dans les représentations que l’enfant possède sur le langage. Il est probable que l’enfant ait acquis implicitement un niveau d’analyse syllabique pour le code oral, mais que ce soit précisément l’apprentissage de la lecture qui amène progressivement l’enfant à prendre conscience des relations existant entre les unités du code oral et du code écrit (voir Demont, & Gombert, 2007). En d’autres termes les enfants faibles lecteurs pourraient ne pas être encore parvenus à mettre en relation les unités de ces deux codes, d’où l’absence d’effet de compatibilité syllabique et un faible niveau en lecture. Alors que pour des enfants de bon niveau, l’appariement entre code oral et écrit pourrait être opérant et produirait alors un effet de compatibilité syllabique.Concernant l’influence de la consonne pivot, l’effet de compatibilité se manifeste davantage pour les consonnes pivot liquides chez les lecteurs de bon niveau de CE1 comme de CM1, bien que ces résultats ne soient que tendanciellement significatifs. Nous retrouvons ainsi en partie l’effet de la consonne pivot liquide tel que décrit par Content et al. (2001) en condition « pseudomot » chez l’adulte. En ce sens le traitement des enfants de bon niveau serait comparable au traitement des adultes en modalité auditive et en condition « pseudomot ». La nature de la consonne pivot semblerait indiquer une trajectoire développementale impliquant une maîtrise plus tardive pour les consonnes liquides. Ces consonnes sont effectivement plus difficiles à isoler dans le flux auditif du fait de leur forte sonorité et plus difficiles à maîtriser d’un point de vue articulatoire. Nos résultats suggèreraient alors que les consonnes liquides seraient l’objet d’un traitement particulier par rapport aux autres types de consonne pivot.