La place occupée par l’objet dans la sémiotique narrative est d’une importance majeure. Dans le cadre du parcours génératif de la signification, et plus précisément au niveau sémio-narratif, l’objet est l’actant syntaxique cible «visé» par un sujet en quête d’un objet de « désir ». La première définition des actants est d’identifier une position actantielle par la relation qu’elle entretient avec une autre position. Le sujet est donc déterminé et construit par sa relation avec l’objet ; il n’y a pas d’objet sans sujet et inversement. Les deux termes interdéfinissables doivent toujours être co-présents. Greimas, afin de décrire l’existence sémiotique de l’objet, va emprunter à Hjelmslev sa définition de l’objet « réduit à des points d’intersection de ces faisceaux de relations» 4 .
Le caractère différentiel de l’objet qui lui confère le statut de valeur linguistique 5 est introduit d’une part, par la définition de l’objet en tant que « distinct de l’acte de penser (ou de percevoir) et du sujet qui le pense (ou le perçoit) » 6 , et d’autre part, du fait d’être connaissable par « ses déterminations (appréhendées comme des différences se profilant sur l’objet) et non en soi » 7 . L’objet est ainsi considéré comme un simple lieu de fixation et d’investissement des valeurs : « Ce qui est essentiel pour l’homme, c’est la quête et la manipulation des valeurs (leur appropriation, leur attribution, etc) ; les objets ne les objets ne l’intéressent que dans la mesure où ils constituent des lieux d’investissement des valeurs » 8 .
L’objet visé est alors envisagé comme « un prétexte, (…) un lieu d’investissement des valeurs, un ailleurs qui médiatise le rapport du sujet à lui-même » 9 et ce sont ses déterminations (valeurs) qui sont les véritables cibles du sujet. Pour Greimas 10 « la reconnaissance d’une valeur permet donc de présupposer l’objet en tant que lieu syntaxique de sa manifestation».
L’objet est donc déterminé — à part sa relation avec les autres positions (rapport S-O) dans l’énoncé d’état (définitions syntaxiques-déterminations « inter-actantielles 11 ») —, par des définitions morphologiques, propres à sa structure interne, qui sont faites à l’aide des investissements modaux. Les catégories modales, vecteurs de surplus de sens, modulent d’une façon qualitative les formes de la présence de l’objet, en le surdéterminant d’une part, et en affectant d’autre part l’existence modale du sujet d’état : « La relation entre le sujet et l’objet, qui définit le sujet en tant qu’existant sémiotiquement, se trouve dotée d’un « surplus » de sens, et l’être du sujet se trouve modalisé d’une manière particulière » 12 .
Les quatre types de modalités (pouvoir, vouloir, devoir et savoir), sont les « attracteurs » qui rendent les objets « désirables » auprès des sujets. Ce sont les valeurs investies dans les objets qui sont désirables (et non les objets eux-mêmes) et acquièrent donc l’appellation des valeurs modales. Par exemple, un actant objet est investi par la valeur /liberté/. La valeur liberté, inscrite dans l’objet disjoint du sujet, constituera la visée du parcours narratif du sujet, qui, lui, pour sa part, est doté des compétences modales (faire être du sujet) qui sont les conditions préalables pour la réalisation de son parcours.
A partir de la relation Sujet-Objet (S-O), dans le cadre de la syntaxe narrative, et de sa surdétermination modale, le mode d’existence de l’objet apparaît sous quatre formes, relativement à ses conditions de jonction avec le sujet de l’énoncé d’état. Nous parlons alors d’objet actualisé, à partir du moment où, il devient disjoint d’avec le sujet, et réalisé, lorsqu’il est conjoint avec le sujet. En réalisant son Programme Narratif (PN), le sujet rend réelle la valeur, qui n’était que visée et se réalise lui-même. Tout objet antérieur à la jonction, n’a pas d’existence réelle, mais possède des valeurs virtuelles qui sont projetées dans le carré sémiotique (niveau profond et élémentaire) et sont en attente d’être actualisées et/ou réalisées dans le cadre du programme narratif : « (…) sujet (…) doit d’abord être instauré comme sujet virtuel, en possession de valeurs dont la réalisation annulera leur statut des valeurs virtuelles» 13 .
Et aussi:
‘«Trouver un objet c’est l’appréhender comme valeur venant de nulle part et établir la relation première entre lui et le sujet. Perdre un objet, par accident, destruction ou oubli, ce n’est pas seulement se disjoindre de lui, c’est abolir toute relation avec lui, en détruisant en même temps le sujet dans son statut d’étant sémiotique» 14 .’Le cadre du transfert des valeurs est celui d’une syntaxe de caractère topologique. Les objets-valeurs sont situés à l’intérieur d’énoncés narratifs. Les relations de l’objet et du sujet et le rôle du discours pour la réalisation du parcours narratif effectué par le sujet, sont expliquées ainsi par Greimas :
‘« C’est dans le déroulement syntagmatique que la syntaxe rejoint la sémantique : l’objet syntaxique qui n’est que le projet du sujet ne peut être reconnu que par une ou plusieurs valeurs sémantiques qui le manifestent. La reconnaissance d’une valeur permet donc de présupposer l’objet en tant que lieu syntaxique de sa manifestation » 15 . ’COURTÉS J., GREIMAS A.-J., Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1993 [1979], p.259.
GREIMAS A.-J., Du Sens II. Essais sémiotiques, Paris, Seuil, 1983, p.21.
COURTÉS J., GREIMAS A.-J., op. cit., p.258.
GREIMAS A.-J., op. cit., p.21.
Ibid., p. 169.
Ibid., p. 21.
Ibid., p.23.
Nous empruntons ce terme à BERTRAND D., Précis de Sémiotique Littéraire, Paris, Nathan, 2000, p. 192.
GREIMAS A.-J., Du sens II, op.cit., p.95.
Ibid., p. 29.
Ibid., p. 30.
Ibid., p.23.