3. Monde naturel vs Langues naturelles

Nous avons examiné la liaison syntaxique Sujet-Objet et son rôle fondamental pour la problématique de l’objet ; maintenant, nous abordons la liaison Objet – Monde, qui correspond à une autre orientation, celle de la sémiotique générale (signe, référent) du discours et de l’énonciation.

Le point de vue de l’objet dans son rapport avec le monde naturel, en tant que signe, ou référent est déjà posé dans une problématique de la référence. L’école européenne semble exclure de ses préoccupations le signe et le référent et laisse ces deux domaines à l’étude de l’école américaine de perspective peircienne et de tendance plus pragmatique. Dès Saussure, Hjelmslev et Benveniste la référence est abandonnée au profit du signifié et du signifiant, du plan de l’expression et du contenu, et de l’énonciation et du discours. La restriction innée à l’étude du signe a été vite abandonnée et substituée par l’étude des plus grandes unités, telles celles appelées « ensembles signifiants » 47 par Geninasca.

La tendance de la sémiotique actuelle de démontrer un intérêt pour le sensible et la perception nous amène à examiner l’objet par rapport au monde naturel, le référent et la figure. Greimas rapproche la notion d’objet — traité jusqu’ici comme une instance syntaxique — et le monde naturel ainsi :

‘« En prenant la syntaxe pour ce qu’elle est, c’est à dire pour la représentation imaginaire, mais aussi la seule manière d’imaginer la saisie du sens et la manipulation des significations, on peut comprendre que l’objet est un concept syntaxique, un terme-aboutissant de notre relation au monde, mais en même temps un des termes de l’énoncé élémentaire qui est un simulacre sémiotique représentant, sous la forme d’un spectacle, cette relation au monde » 48 .’

Dans l’œuvre de Greimas, nous constatons que l’objet, en tant que composante syntaxique, est le lien de notre relation au monde, et, en même tempsil représente cette relation au monde. La définition du monde naturel est donnée dans le Dictionnaire raisonné de la théorie du langage :

‘« Nous entendons par monde naturel le paraître selon lequel l’univers se présente à l’homme comme un ensemble de qualités sensibles, doté d’une certaine organisation qui le fait parfois désigner comme le monde du sens commun. Par rapport à la structure profonde de l’univers, qui est d’ordre physique, chimique, biologique, etc., le monde naturel correspond, pour ainsi dire, à sa structure de surface » 49 .’

Cet extrait esquisse une distinction entre un « paraître » du monde naturel qui est organisé au niveau de la surface et qui apparaît comme un ensemble de saillances perceptives, le seul manifesté et saisi par l’homme, et l’« être » qui est l’instance immanente et génératrice située au niveau profond, inaccessible tel quel, sous sa forme pure, à l’homme. La sémiotique du monde naturel s’intéresse donc, d’une part à la façon dont le monde naturel (aussi dit le monde du sens commun) tel qu’il est présenté à l’homme est organisé, et d’autre part, à la manière dont le monde naturel est saisissable cognitivement et déchiffrable (linguistiquement) par l’homme. En d’autres mots, l’homme se projette sur la forme manifestée du monde naturel et essaie de l’organiser et de le transformer en une forme signifiante :

‘« C’est d’autre part, une structure discursive car il (le monde des qualités sensibles) se présente dans le cadre de la relation sujet/objet, il est l’énoncé construit par le sujet humain et déchiffrable par lui » 50 .  ’

Les signes naturels sont transformés en signes culturels suite à une réflexion et interprétation méta-sémiotique de la part du sujet. Le médiateur entre le monde naturel et l’homme c’est le langage qui donne au monde extérieur, masse amorphe et vaste réservoir des signes, une forme signifiante et interprétable par l’homme. A partir de la Sémiotique des passions, on en vient à poser le « corps » comme instance médiatrice et responsable de la sémiotisation, et à partir de la question présente objet-monde, on pose le langage (ou la langue) comme instance responsable de la sémiotisation. Qu’est-ce que la langue (le langage) fait « subir » au corps ? Qu’est-ce que le corps apporte à la langue 51 ?

Notes
47.

Nous développerons plus tard.

48.

GREIMAS A.-J., Du Sens II. Essais sémiotiques, op.cit., pp.22-23.

49.

COURTÉS J., GREIMAS A.-J., Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, tome I, Hachette, 1993 (1976), p. 233, entrée « Monde naturel ».

50.

COURTÉS J., GREIMAS A.-J., Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, tome I, op.cit., p.233, entrée « Monde naturel ».

51.

Sur ce point et plus précisément son articulation avec la théorie de l’énonciation l’article de François Martin – CADIR - Devenir des figures : des figures au corps - (Martin, François - CADIR Lyon). Sémiotique&Bible revue n° 100, et aussi « La lecture aux prises avec la lettre, la figure et la Chose », in C. Berger et J.J. Wunengurger, éd. Mythe et philosophie. Les traditions bibliques, PUF, 2002.