4. Enonciation et référent

4.1. La question du référent : une approche textuelle

Dans cette partie nous allons développer les notions traitées par la sémiotique du monde naturel sous l’angle de l’énonciation : les théories du discours abordent les notions de référence et de figure et préparent le terrain pour une sémiotique de la présence.

Sur la dimension de l’importance discursive pour la détermination de l’objet, Semprini 52 souligne que le concept des objets chez Greimas fait partie d’une méthode générative, qui accorde une importance fondamentale aux objets, celle d’incorporer et véhiculer une signification, et qu’il cherche à comprendre la nature « non objective des objets ». D’après Greimas, les objets sont issus des systèmes sémiotiques qui les produisent dans le cadre d’une certaine configuration discursive :

‘« Loin, de se limiter à identifier et à designer, à travers les signes, les objets du monde et à les rendre communicables d’un sujet à un autre sujet, les systèmes sémiotiques, produisent les objets du monde et en faisant cela, en donnent une certaine description, les installent à l’intérieur d’une certaine configuration discursive. En d’autres termes, les systèmes sémiotiques génèrent et manipulent non seulement le contenu de ce qu’ils proposent comme étant le référent du discours, mais aussi les différentes instances impliquées dans la production et dans la réception de ce même discours » 53 .’

Le texte apparaît donc, comme la condition nécessaire, le lieu de la production, et de la réalisation des objets. L’objet ne peut être que discursif (sous forme de la figure, comme on le verra ensuite). Avant Sémiotique des passions, en dehors du texte, l’objet ne possède aucun statut sémiotique.

Greimas considère la structure du monde naturel comme une structure discursive, une sorte d’énoncé construit et intelligible pour le sujet humain et met, ainsi, en corrélation le monde naturel avec les langues naturelles. Le monde naturel, comme les langues naturelles, constituent des macrosémiotiques, à savoir « des vastes ensembles signifiants » 54 , des lieux d’élaboration et d’exercice de multi-sémiotiques. L’adjectif naturel qui caractérise le lien entre le monde et les langues, souligne le fait que l’individu est projeté dans un monde signifiant antérieurement à sa naissance. Ce monde naturel est en même temps culturel, car il subit constamment des transformations dues au sujet humain.

Il existe un autre rapport entre ces deux macrosémiotiques, c’est que les langues naturelles informent et catégorisent le monde extérieur, qui, loin d’être le référent est au contraire lui-même un langage bi-plane, une sémiotique naturelle :

‘« Le monde naturel est un langage figuratif, dont les figures que nous retrouvons dans le plan du contenu des langues naturelles sont faites des « qualités sensibles » du monde et agissent directement sans médiation linguistique sur l’homme» 55 .’

Le référent, réalité extra-linguistique, loin d’être abordé dans les termes de ‘’référent absolu’’, est conçu lui aussi, en tant que sémiotique du monde naturel : un langage bi-plane, comportant un plan de l’expression et un plan du contenu :

‘«  Le problème du référent n’est alors qu’une question de corrélation entre deux sémiotiques (langues naturelles et sémiotiques naturelles, sémiotique picturale et sémiotique naturelle, par exemple), un problème d’intersémiocité» 56 .’

Greimas traite le référent du point de vue discursif : soit en dehors du champ discursif, soit à l’intérieur. Dans ce dernier cas, le discours joue un rôle actif, puisqu’il construit un monde plus ou moins semblable à la réalité telle qu’elle est généralement perçue ; les degrés de ressemblance du monde textuel avec le monde naturel peuvent être certes plus ou moins élevés, mais Greimas ne fait pas pour autant allusion ici, à la « déformation » du monde naturel par le monde textuel. Le discours peut contenir un monde ou des mondes possibles mais sans pour autant semer la confusion. La figure est ainsi limitée à sa définition d’iconicité, en tant que motif du monde naturel, emprunté par le discours, et sert à « compter » les degrés de ressemblance du monde discursif avec le monde naturel. La figure n’est pas encore dotée de son statut lié à l’épaisseur et à la force créatrice du discours, ni à la tension entre le monde naturel et textuel. Le degré de ressemblance peut être plus ou moins proche, certes, mais doit se tenir dans les cadres de la ressemblance. Autrement dit, même si le monde naturel est traité par le discours, c’est le sens commun qui va dicter ses caractéristiques au monde dans le discours et pas l’inverse, comme nous le verrons plus tard. Le lien dominant est celui du monde externe, du monde naturel, et il n’est pas remis en question 57 .

Notes
52.

SEMPRINI A., L’objet comme procès et comme action, L’Harmattan, Paris, 1996.

53.

Ibid., p.90.

54.

COURTÉS J., GREIMAS A.-J., Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, tome I, Hachette, 1993 (1976), p. 219 entrée « Macrosémiotique ».

55.

Ibid., p.234, entrée « Monde naturel ».

56.

Ibid., p.312, entrée « Référent ».

57.

Cf. le statut figuratif et figural traité par Geninasca et Panier.